Une convention ferroviaire hors normes
Le 19 juillet, à Brazzaville, le Chemin de fer Congo-Océan et le groupe turc Ulsan Mining Congo ont paraphé une convention chiffrée à plus de 737 millions d’euros, destinée à redonner vigueur au corridor ferroviaire reliant Mayoko à Pointe-Noire. Par la voix de leurs directeurs généraux respectifs, Ignace N’Ganga et Vakkas Karaoğlu, les signataires ont insisté sur le caractère structurant d’un chantier appelé à réduire les coûts logistiques intérieurs et à sécuriser l’acheminement du minerai de fer extrait dans le Niari vers la façade atlantique (Agence congolaise d’information, 19 juillet 2024).
La portée financière du projet, inédite pour le réseau ferroviaire congolais depuis sa mise en service en 1934, témoigne d’une volonté officielle de repositionner le rail comme colonne vertébrale du transport de marchandises, complémentaire de la Route nationale 1 et de la voie fluviale. L’accord couvre la remise à niveau de la voie dite « Ex-Comilog », la rénovation de gares essentielles et la modernisation des systèmes de signalisation, afin de porter la vitesse commerciale moyenne à 70 km/h contre 25 km/h aujourd’hui.
La dimension industrielle du corridor sud
Au-delà de l’infrastructure, la convention intègre l’acquisition d’une vingtaine de locomotives et de wagons spécialisés capables de soutenir un trafic annuel initial de six millions de tonnes. Cette flotte, financée par Ulsan Holding, doit assurer une fiabilité accrue des dessertes et limiter les ruptures de charge, maillon souvent négligé dans les chaînes d’exportation africaines.
Ulsan prévoit, à moyen terme, la construction d’une fonderie à Pointe-Noire pour un investissement distinct estimé à deux milliards de dollars. L’usine, qui emploiera des technologies à faible intensité carbone, ambitionne de transformer localement le minerai en billettes d’acier, densifiant ainsi la base industrielle congolaise et réduisant la dépendance aux importations de produits semi-finis.
Retombées socio-économiques attendues
Selon les projections conjointes du ministère des Transports et d’Ulsan Holding, quelque 3 000 emplois directs et 8 000 indirects pourraient émerger au pic des travaux, tandis qu’une main-d’œuvre pérenne de 1 200 salariés serait nécessaire pour l’exploitation de la ligne réhabilitée. Dans les localités traversées, la perspective de nouvelles haltes et d’activités de maintenance crée un espoir de désenclavement durable et de diversification des revenus agricoles.
Pour les autorités budgétaires, la modernisation du réseau ouvre la voie à une hausse des recettes douanières et à une meilleure allocation des subventions publiques, jusque-là captées par le fret routier. Les études internes du CFCO estiment que le report modal vers le rail permettra une économie annuelle d’environ 60 000 tonnes d’émissions de CO₂, alignant le projet sur les engagements climatiques annoncés lors de la COP27.
Un partenariat diplomatique à haute teneur stratégique
Cet accord s’inscrit dans un contexte d’intensification des liens bilatéraux entre Brazzaville et Ankara, nourris par la signature de la convention minière de 2024 et par plusieurs visites officielles. En associant un opérateur turc à un actif historique du Congo, les deux États concrétisent leur volonté commune de développer les infrastructures critiques tout en favorisant un transfert de compétences vers les cadres congolais.
La ministre Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas, représentant le gouvernement, a rappelé que ce partenariat illustre la mise en œuvre de la vision du président Denis Sassou Nguesso, fondée sur la promotion des grands travaux et la diversification des partenaires économiques. La coopération Turquie-Congo, longtemps cantonnée aux secteurs de la construction et de la défense, s’étend désormais à la logistique minière, élargissant le spectre d’une diplomatie économique multivectorielle.
Cap sur une transformation locale du minerai
Les économistes soulignent qu’en transformant le fer sur place, la valeur ajoutée domestique pourrait tripler, modifiant la structure du PIB industriel. Cette orientation rejoint les préconisations de la Commission économique pour l’Afrique, qui plaide en faveur d’une montée en gamme des exportations africaines afin de réduire la vulnérabilité aux fluctuations des cours mondiaux des matières premières.
Les ingénieurs du projet assurent que la fonderie sera alimentée en énergie par un mix combinant gaz naturel et solaire, réduisant l’empreinte carbone et répondant aux exigences des marchés européens post-CBAM. Cette anticipation illustre la recherche d’une compétitivité durable plutôt qu’une seule rentabilité immédiate.
Vers une logistique intégrée et durable
À l’horizon 2030, la ligne modernisée devrait se connecter aux futures plateformes portuaires étendues de Pointe-Noire, créant un hub multimodal apte à desservir non seulement le sud du Congo mais aussi le nord-ouest de la République démocratique du Congo et le sud-ouest du Gabon. Les autorités entendent ainsi positionner Pointe-Noire comme porte d’entrée régionale, en complément des initiatives d’intégration de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Sous réserve du respect des calendriers et des normes de gouvernance, le corridor Mayoko-Pointe-Noire pourrait devenir un laboratoire de la nouvelle politique industrielle congolaise : infrastructure modernisée, transformation locale, impératif environnemental et coopération Sud-Sud. Autant d’éléments qui, combinés, nourrissent l’espoir d’une croissance inclusive et de la consolidation de la souveraineté économique nationale.