Une vulnérabilité urbaine révélée par les déchets
Le 9ᵉ arrondissement Djiri, dernier-né de la capitale congolaise, incarne à lui seul l’équation complexe des métropoles d’Afrique centrale : croissance démographique soutenue, urbanisation diffuse et infrastructures encore en devenir. À quelques mètres du bitume flambant neuf de la sortie nord, une masse grise, faite d’épluchures, de gravats et de plastiques, se dresse désormais comme un promontoire involontaire. Cette décharge sauvage, apparue au fil de dépôts sporadiques, a pris, en moins de deux ans, la dimension d’un relief artificiel que les habitants ont surnommé « la colline ». Son expansion rend visible une vulnérabilité latente : l’absence d’un maillage régulier de points de collecte, pourtant indispensable à la salubrité d’une capitale qui revendique un statut de vitrine régionale.
Le dispositif institutionnel face au défi de l’assainissement
Depuis 2024, l’État congolais a confié au groupe turc Albayrak l’exécution progressive du service public des ordures à Brazzaville et Pointe-Noire. Ce partenariat public-privé, structuré autour d’objectifs pluriannuels, commence par le déploiement d’équipements de base – bennes tasseuses, balayeuses mécaniques et conteneurs scellés – dans les secteurs jugés prioritaires. La Direction générale de l’assainissement, quant à elle, poursuit ses rotations traditionnelles, tout en supervisant l’actualisation du Schéma directeur d’élimination des déchets. « Le pari consiste à superposer, pendant la phase transitoire, l’action municipale et l’expertise du privé, afin de couvrir le territoire sans rupture de service », souligne le professeur Jean-Jules Kimangou, spécialiste de politiques urbaines à l’Université Marien-Ngouabi.
Bongho-Nouarra, symptôme et laboratoire social
Le site de Bongho-Nouarra, distante d’à peine trois cents mètres de la mairie d’arrondissement, illustre les limites d’un calendrier opérationnel encore modeste. Sur place, un bulldozer repousse régulièrement les détritus vers un ravin, pratique qui résout l’apparence du problème sans le traiter en profondeur. Pour Grégoire, fonctionnaire résidant à proximité, « le ballet des camions arrive trop tard ; chaque matin, la montagne a repoussé ». Les autorités locales reconnaissent la sensibilité écologique du ravin, classé comme zone de drainage naturel lors des pluies tropicales. Le risque de lixiviation, c’est-à-dire l’entraînement des métaux lourds vers les nappes phréatiques, préoccupe particulièrement les ingénieurs de l’Agence congolaise de normalisation environnementale, présents sur le terrain depuis janvier.
Conséquences sanitaires mesurables et perceptions citoyennes
Les registres du centre de santé intégré de Djiri font état, depuis fin 2023, d’une hausse de 17 % des infections respiratoires aiguës chez les moins de quinze ans. Les médecins lient cette progression à la concentration de particules fines issues de la fermentation anaérobie des déchets. La grippe saisonnière, déjà endémique, se voit ainsi amplifiée par un air chargé d’ammoniac et de méthane. La population, elle, aborde le danger par l’expérience quotidienne : odeurs persistantes, poussières collantes sur les boiseries et attrait des moustiques au crépuscule. « Nous vivons avec un adversaire invisible », confie Pascal, vendeur ambulant, qui craint pour la crédibilité de la capitale aux yeux des investisseurs étrangers.
Dynamique politique locale et stratégie de sortie de crise
Installé le 7 juin 2025, l’administrateur-maire Guy Rufin Adamboté a fait du déplacement de la décharge l’axe cardinal de son programme « Djiri sans ordures ». Sa méthode se décline en trois volets : pédagogie de proximité auprès des ménages, négociation avec Albayrak pour un renforcement ponctuel des tournées, et création d’un point de transfert temporaire vers la décharge contrôlée de Mpila. Les premières séances de sensibilisation, appuyées par des associations de jeunesse, ont déjà réduit de manière sensible le volume quotidien de dépôts sauvages, selon les relevés du comité de quartier datés du 15 août. L’élu mise sur cette mobilisation civique : « La propreté durable naît d’un pacte entre citoyens et institutions », rappelle-t-il lors d’une rencontre avec la presse.
Vers une économie circulaire adaptée au contexte brazzavillois
Au-delà de l’urgence, le gouvernement congolais promeut une stratégie nationale de valorisation des déchets, inspirée des conclusions du Congo Climate Dialogue de 2022. Le futur Centre intercommunal de tri-compostage, dont les études d’impact sont déjà validées, permettra d’extraire les fractions organiques pour l’agriculture périurbaine, tout en alimentant une unité pilote de production de briquettes combustibles. Si la Banque de développement des États d’Afrique centrale confirme son appui financier, Djiri pourrait devenir, d’ici 2027, un hub de l’économie circulaire et un modèle de résilience environnementale pour la sous-région. Cette perspective éclaire la « colline » de Bongho-Nouarra sous un jour neuf : d’amoncellement anxiogène, elle est appelée à devenir le symbole d’une mutation collective où l’urbanisme, la santé et la gouvernance convergent.