Loudima, laboratoire énergétique d’une région agricole
En foulant le sol rouge de la Bouenza pour actionner la mise en route de la toute nouvelle ligne de production de biocarburants, le Président Denis Sassou Nguesso a symboliquement ancré Loudima sur la carte des pôles énergétiques émergents du continent. L’Agri-Hub Arturo Bellezza, développé par le groupe italien Eni, concentre en un même site extraction, pressage et raffinage d’huiles végétales issues du soja, du ricin et du tournesol. La technologie retenue se veut sobre : elle repose sur des presses mécaniques et des catalyseurs de troisième génération permettant d’obtenir un carburant conforme aux standards internationaux en matière d’indice de cétane et de durabilité (Agence congolaise d’information, 01 juillet 2024).
Ce projet se distingue d’emblée par un ancrage territorial assumé. Contrairement aux schémas d’importation de matières premières, l’unité s’appuie sur un périmètre contractuel de plus de quatre mille agriculteurs locaux, encadrés par des techniciens agro-industriels formés avec l’appui de l’Institut national de recherche agronomique. L’objectif affiché est de transformer, in situ, quinze mille tonnes d’oléagineux la première année, avec une montée en puissance progressive qui devrait tripler ce volume à l’horizon 2027.
Une synergie public-privé adossée à la diplomatie économique
Au-delà du geste inaugural, la présence du manager général Ressources naturelles d’Eni, Guido Brusco, illustre une coopération bilatérale qui dépasse la stricte logique d’investissement étranger. Dans ses échanges avec la presse, le dirigeant a rappelé que l’entreprise amorce une reconfiguration stratégique, déplaçant son centre de gravité des hydrocarbures fossiles vers les chaînes de valeur bas-carbone. Cet arrimage au programme congolais de diversification énergétique offre un cadre win-win : l’État bénéficie d’une technologie éprouvée et d’un débouché industriel, tandis qu’Eni sécurise un approvisionnement en huiles végétales à faible empreinte carbone pour ses raffineries européennes.
La signature, en marge de la cérémonie, d’un protocole additionnel sur le transfert de compétences agronomiques témoigne d’une volonté de long terme. Il prévoit la création, à Dolisie, d’un centre de formation biculturel destiné à diffuser les bonnes pratiques agronomiques dans la sous-région. Les diplomates présents n’ont pas manqué de souligner la portée stabilisatrice d’une telle école, susceptible de consolider la chaine de valeur agricole tout en offrant des perspectives aux jeunes ruraux souvent attirés par l’exode.
Impacts socio-économiques attendus pour la Bouenza
De nombreux opérateurs économiques locaux perçoivent déjà l’effet d’entraînement induit par l’Agri-Hub. Selon le ministère en charge du Développement industriel, près de sept cents emplois directs sont créés, auxquels s’ajoutent plus de deux mille opportunités indirectes dans le transport, la maintenance et la logistique. La municipalité de Loudima anticipe une hausse de ses recettes fiscales de l’ordre de quinze pour cent, chiffre non négligeable pour une collectivité qui mise sur l’élargissement de son réseau routier et l’amélioration de l’adduction en eau potable.
Les organisations paysannes se montrent également attentives à la redistribution de la valeur. À travers un mécanisme de contrat-planteur, les producteurs perçoivent un prix d’achat plancher indexé sur les coûts de production et le cours international de l’huile brute. Cette formulation, saluée par la Confédération nationale des syndicats d’agriculteurs du Congo, devrait réduire la vulnérabilité des exploitations familiales face à la volatilité des marchés mondiaux des oléagineux.
Entre urgence climatique et souveraineté énergétique
Sur le plan environnemental, l’exécutif congolais réaffirme sa détermination à respecter l’Accord de Paris tout en consolidant sa souveraineté énergétique. Le recours aux biocarburants vise à substituer progressivement dix pour cent du gasoil importé, réduisant l’empreinte carbone d’environ quatre cent mille tonnes de CO₂ par an selon les projections du ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique. Cet alignement stratégique répond à la double nécessité de limiter la dépendance aux marchés internationaux des hydrocarbures et de préserver l’équilibre macro-budgétaire du pays.
Les ONG environnementales, présentes en nombre lors de l’inauguration, ont néanmoins rappelé la vigilance nécessaire pour éviter toute concurrence entre cultures énergétiques et production vivrière. Le gouvernement, par la voix du ministre Paul Valentin Ngobo, a assuré que ne seront mobilisées que des parcelles en jachère ou des terres à faible rendement, excluant la conversion de forêts primaires. Un comité de suivi multipartite, intégrant société civile, pouvoir local et bailleurs internationaux, devra s’assurer du respect de ces orientations.
Des perspectives régionales pour un modèle réplicable
Avec l’Agri-Hub de Loudima, le Congo-Brazzaville se positionne comme incubateur de solutions africaines à la crise climatique. Les premières livraisons commerciales sont attendues dans les ports de Pointe-Noire et de Séville dès le premier trimestre 2025, ouvrant la voie à une diplomatie énergétique fondée sur la circulation de produits à faible émission. Les autorités entendent capitaliser sur cette vitrine pour attirer des investisseurs sud-américains et asiatiques intéressés par la mise en place de corridors verts similaires le long du corridor Brazzaville-Kinshasa-Lobito.
Dans son allocution, le Président Denis Sassou Nguesso a insisté sur la capacité des territoires, même semi-ruraux, à devenir des nœuds d’innovation dès lors qu’ils bénéficient d’une feuille de route claire et de partenaires fiables. L’expérience de Loudima, a-t-il déclaré, illustre la conversion d’un potentiel agricole latent en valeur ajoutée industrialisée, et constitue un jalon supplémentaire vers l’objectif fixé par la Stratégie nationale de développement 2022-2026 : porter la part des énergies renouvelables à trente-cinq pour cent du mix national. Ainsi, au-delà de l’événement inaugural, se dessine un horizon où la graine de soja pourrait devenir synonyme de résilience économique et d’influence régionale.