Une opération africaine à 360 degrés
Conclue le 20 juin 2025, la prise de contrôle par Access Bank PLC des portefeuilles de détail et de gestion de patrimoine de Standard Chartered Bank Tanzania Limited constitue l’aboutissement d’une négociation de deux ans menée sous l’égide de la Bank of Tanzania et de la Securities and Exchange Commission du Nigeria. D’après le communiqué conjoint publié à Lagos et à Dar es-Salaam, la transaction couvre environ 100 000 clients particuliers, 250 employés transférés et un réseau de sept agences urbaines, pour un montant que les parties préfèrent ne pas divulguer. Des interlocuteurs proches du dossier évoquent une valorisation proche de 70 millions de dollars (Reuters), un prix jugé « compétitif » au regard de la faible pénétration bancaire, encore sous la barre des 20 % dans le pays.
Le repositionnement global de Standard Chartered
L’opération s’inscrit dans la stratégie de « capital allocation discipline » annoncée par Standard Chartered en avril 2022, destinée à sortir de marchés jugés non stratégiques ou insuffisamment rentables. Après le Zimbabwe, le Liban ou la Jordanie, la Tanzanie rejoint la liste des désengagements africains et moyen-orientaux de la banque britannique. « Nos ressources seront redirigées vers les corridors de commerce Asie-Afrique et les activités de banque d’investissement », déclarait Bill Winters, directeur général, lors de l’assemblée générale 2024 (Financial Times). La décision reflète également la pression réglementaire post-Brexit : aux exigences accrues de Bâle IV s’ajoute la nécessité, pour la City, d’améliorer ses ratios de fonds propres sans diluer la rémunération de l’actionnaire.
La stratégie régionale d’Access Bank
Pour Access Bank, troisième groupe bancaire nigérian par les actifs, le rachat consolide une expansion est-africaine entamée en 2019 avec la reprise de Transnational Bank au Kenya puis celle de BancABC en Tanzanie continentale et à Zanzibar. Le directeur général, Herbert Wigwe, voit dans cette accumulation d’acquisitions un levier pour transformer la banque en « groupe panafricain de premier rang ». Le conglomérat cherche à bâtir un réseau couvrant 30 pays d’ici 2027, afin de sécuriser les flux commerciaux intrarégionaux stimulés par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). À Dar es-Salaam, Access Bank hérite surtout d’un portefeuille de clients premium anglophones et d’une infrastructure numérique que Standard Chartered avait considérablement modernisée depuis 2018, ce qui pourrait accélérer l’implantation de solutions de mobile banking déjà éprouvées au Nigeria.
Enjeux macroéconomiques et réglementaires tanzaniens
L’économie tanzanienne, à la faveur d’une croissance projetée à 5,8 % en 2025 par la Banque mondiale, représente un marché encore sous-bancarisé où les fintech et les services de paiement mobiles dominent. Or, l’installation d’un acteur nigérian d’envergure implique un dialogue étroit avec la Bank of Tanzania, soucieuse de préserver la stabilité monétaire et la protection des dépôts en shilling. Le régulateur a notamment exigé qu’Access Bank procède à une recapitalisation locale de 25 milliards de shillings (environ 10 millions de dollars) afin d’aligner les exigences de fonds propres sur celles imposées aux banques systémiques. À Zanzibar, territoire semi-autonome, la licence bancaire devra être renégociée, une complexité juridique que la direction du groupe reconnaît « intégrer dans son calendrier de consolidation » (The Citizen, Dar es-Salaam).
Impact potentiel sur l’inclusion financière et la concurrence locale
L’entrée d’Access Bank intervient dans un paysage dominé par CRDB, NMB et une myriade de microfinances qui irriguent l’économie informelle. Les analystes de Renaissance Capital estiment que la capillarité numérique du groupe nigérian pourrait accroître la pression tarifaire sur les commissions de transfert et de change, forçant le marché à davantage d’innovation. Le gouvernement de Dodoma, qui mise sur la bancarisation pour canaliser les recettes fiscales et encourager l’épargne longue, salue une opération « susceptible d’élargir l’accès au crédit des PME exportatrices de café et de coton », déclaration reprise par la Presse présidentielle. Certains économistes restent néanmoins prudents : « L’expérience prouve que l’absorption de petits portefeuilles ne se traduit pas toujours par des conditions plus avantageuses pour les ménages ruraux », rappelle l’universitaire Abel Kinyondo, spécialiste de développement à l’Université de Dar es-Salaam.
Regards croisés de la City et de Lagos
Au-delà de la seule Tanzanie, la transaction illustre une dynamique plus large : la montée en puissance de champions bancaires africains adossés à une liquidité domestique abondante, alors même que certains établissements historiques européens recentrent leurs bilans. Les diplomates économiques nigérians y voient la matérialisation d’une doctrine de « soft power financier », destinée à positionner Lagos comme hub continental après l’adoption, début 2025, du Règlement sur la libre circulation des services financiers au sein de la CEDEAO. À Londres, le Foreign Office observe pour sa part la multiplication d’accords bilatéraux de protection des investissements, craignant qu’un désengagement trop rapide ne laisse le champ libre aux banques sud-africaines et chinoises. Dans cette partie d’échecs, la Tanzanie devient un échiquier symbolique où s’opposent stratégies nationales et logiques de marché.
Vers un nouveau paradigme bancaire africain
Si la finalisation juridique est attendue d’ici décembre 2025, les enjeux de migration informatique et de gouvernance sociale détermineront la réussite opérationnelle de l’opération. Le défi pour Access Bank sera de conserver les talents locaux tout en imposant ses standards de conformité, notamment en matière de lutte contre le blanchiment, où la Tanzanie figure toujours sous surveillance accrue du GAFI. En définitive, la cession actée par Standard Chartered ressemble à une page qui se tourne pour la City, tandis que l’appétit de Lagos s’aiguise. La recomposition ainsi amorcée pourrait bien préfigurer, à l’échelle du continent, un nouveau paradigme où les flux de capitaux sud-sud remplaceront progressivement les traditionnels circuits nord-sud.