Atelier régional à Brazzaville
Le 14 octobre, Brazzaville a accueilli un atelier régional consacré au modèle « Agroforêts des ménages », porté par le Projet de renforcement et innovation en foresterie participative au bénéfice des communautés locales, RiFoP. L’événement a placé la gestion communautaire au cœur des débats techniques.
Une trentaine d’experts issus des administrations forestières, agricoles et foncières du Congo-Brazzaville et du Cameroun, accompagnés de partenaires techniques, financiers et d’acteurs de la société civile, ont partagé leur retour d’expérience sur les premiers mois de mise en œuvre du dispositif pilote.
L’objectif officiel visait à croiser les regards réglementaires, comparer les outils existants et identifier les ajustements nécessaires pour que ce modèle participatif prenne place dans les politiques forestières régionales sans bouleverser les cadres fonciers en vigueur.
Concept d’agroforêt des ménages
Née d’initiatives communautaires observées sur les rives du fleuve Congo, l’agroforêt des ménages propose de confier à une famille ou à un groupe de familles apparentées un bloc forestier clairement délimité, afin de concilier subsistance, reboisement et valeur commerciale des essences locales.
Chaque ménage se voit reconnaître des droits d’usage, de récolte et, à terme, de valorisation des produits forestiers non ligneux, sous réserve de respecter un plan simple de gestion établi avec les services compétents et validé en assemblée villageoise.
Des parcelles pilotes ont déjà été matérialisées dans plusieurs districts du Niari, de la Cuvette et du Sud-Cameroun, offrant un terrain d’observation précieux sur la compatibilité entre cultures vivrières, arbres de rente et régénération naturelle du couvert.
Résultats préliminaires du RiFoP
Selon la coordination du RiFoP, quatre avancées majeures ressortent de la phase 1 : formalisation du protocole, cartographie participative, formation de 120 bénéficiaires et définition d’indicateurs communs de suivi environnemental.
Les premières mesures montrent une baisse sensible des défrichements sauvages autour des réserves périphériques, tandis que les ménages pilotes diversifient leurs revenus grâce au cacao, au miel et à la collecte réglementée de moabi.
Des difficultés persistent pourtant : lenteur de la délivrance des titres d’usage, accès limité aux semences améliorées et besoin de renforcer la sécurisation des limites pour éviter les conflits entre clans voisins, reconnaît le rapport intermédiaire.
Enjeux juridiques et fonciers
Au Congo-Brazzaville, le Code forestier prévoit déjà la possibilité de concessions communautaires, mais le niveau ménager constitue une innovation qui exige des décrets d’application spécifiques, notamment pour définir la transférabilité intra-familiale des droits.
Au Cameroun, l’équipe du ministère des Forêts a souligné la nécessité d’articuler le modèle avec les règles coutumières, particulièrement dans les zones où la propriété est collective, afin d’éviter une privatisation perçue comme contraire aux usages traditionnels.
Les juristes présents ont proposé de recourir à des clauses évolutives, permettant d’allonger la durée des droits si les indicateurs de conservation sont respectés, une piste jugée compatible avec la Stratégie nationale REDD+ et les engagements climatiques souscrits par la sous-région.
Voix des acteurs
« Cette approche place la famille au cœur de la foresterie durable et responsabilise chacun sur la préservation du capital boisé », a déclaré Telesphore Ndinga, directeur général de l’Économie forestière, saluant un outil capable d’accélérer l’emploi rural tout en protégeant la biodiversité.
Pour Alice Ekambi, point focal camerounais du projet, « l’adhésion des chefferies traditionnelles rassure les villageois ; elle montre que modernité et coutume peuvent coexister si l’on respecte les procédures locales et l’équité entre genres ».
Côté communautés, Jonas Mabiala, président d’une coopérative de la Cuvette, a souligné que la clarification des limites permet de réduire les litiges ; il attend toutefois un accompagnement accru pour la certification biologique, susceptible d’ouvrir des marchés de niche rentables.
Perspectives régionales
La Commission des forêts d’Afrique centrale, associée dès l’amont, voit dans les agroforêts des ménages un levier stratégique pour atteindre les objectifs de restauration des paysages forestiers fixés dans la Déclaration de Brazzaville sur les écosystèmes d’Afrique centrale.
Plusieurs bailleurs, dont l’Agence française de développement et la Banque africaine de développement, se sont dits disposés à étudier des lignes de crédit adaptées pour financer l’extension du modèle dans d’autres aires périphériques des parcs nationaux.
Le chronogramme présenté prévoit la validation juridique du concept d’ici fin 2024, suivie d’une phase d’essaimage sur cinq ans. Les acteurs tablent sur un minimum de deux cents agroforêts villageoises opérationnelles à l’horizon 2030, si les financements se concrétisent.