Urgence sanitaire : un risque chiffré
Presque 20 000 Congolais vivant avec le VIH et 4 000 souffrant de tuberculose pourraient se retrouver sans thérapie en 2026. L’alerte émane du Comité de coordination national, l’instance qui pilote les programmes soutenus par le Fonds mondial dans le pays.
Les experts redoutent qu’un simple décalage dans l’approvisionnement entraîne l’interruption des antirétroviraux et des antituberculeux. Une rupture, même courte, exposerait les patients à des résistances médicamenteuses, alourdirait les coûts futurs et compromettrait les progrès enregistrés ces dernières années.
« Nous observons une prévalence VIH qui reste élevée, notamment chez les jeunes », rappelle Eplakessi Kouadjani, gestionnaire du portefeuille régional. Pour la tuberculose, le taux de prise en charge atteint 100 %, mais ce succès repose sur un accès continu aux molécules de première ligne.
Les organisations communautaires tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois, estimant que la fenêtre de préparation se referme vite. Cependant, aucune pénurie n’est encore déclarée ; l’objectif est justement d’anticiper afin d’éviter le moindre décrochage thérapeutique.
Un financement à consolider
Pour la période 2024-2026, le Congo-Brazzaville bénéficie de 90 millions d’euros de subventions du Fonds mondial. Ce soutien couvre la quasi-totalité des achats de médicaments antirétroviraux, les réactifs de laboratoire et les tests de dépistage rapide.
La présidente du CCN, Esmo Valérie Maba Moukassa, souligne que ces ressources « ont permis d’atteindre des niveaux satisfaisants pour plusieurs indicateurs ». Le taux de suppression virale a progressé, tandis que la mortalité liée à la tuberculose recule lentement.
Toutefois, la mécanique reste fragile. Les décaissements suivent un calendrier exigeant, tributaire des contributions multilatérales. Un ralentissement international, ou une tension logistique inattendue, suffirait à réduire les stocks disponibles avant la fin du cycle triennal.
Les autorités sanitaires misent sur une hausse progressive de la contre-partie nationale. Dans la loi de finances, l’enveloppe dédiée aux traitements prioritaires est appelée à croître, signe d’une appropriation croissante par l’État et d’une volonté de souveraineté pharmaceutique.
Mobilisation de tous les acteurs
Le ministère de la Santé encourage désormais les entreprises locales à soutenir, par le biais de fondations ou de prélèvements RSE, l’achat de tests rapides et de médicaments de deuxième ligne. Plusieurs compagnies pétrolières et minières ont déjà inscrit ces dépenses dans leur budget social.
Parallèlement, la société civile intensifie la sensibilisation auprès des élus pour que les financements domestiques soient votés à temps. « Si nos appels ne sont pas entendus, nous devrons envisager des actions de plaidoyer plus soutenues », prévient Maba Moukassa, sans dramatiser la situation.
Dans les hôpitaux, les chefs de service élaborent des plans de contingence : suivi renforcé des stocks, mutualisation des pharmacies et alertes numériques en cas de seuil critique. L’objectif est de détecter toute tension avant qu’elle ne pénalise les patients.
Les bailleurs techniques, eux, insistent sur la bonne gouvernance. Un audit trimestriel des circuits d’approvisionnement garantit la traçabilité des lots et rassure les partenaires internationaux sur l’usage optimal des fonds alloués.
Prévention et innovation au cœur de la réponse
Au-delà des médicaments, les autorités misent sur la prévention. La stratégie nationale 2023-2027 prévoit l’introduction des autotests VIH en pharmacie et l’expansion des centres de dépistage mobile dans les zones rurales.
Des campagnes ciblées auprès des jeunes utilisent désormais les réseaux sociaux, la musique et le sport pour banaliser le test et promouvoir l’observance. Selon le Programme national de lutte contre le sida, la fréquentation des centres a bondi de 15 % depuis le lancement de ces actions.
Sur le plan technologique, l’hôpital de référence de Brazzaville pilote un projet de télésuivi des patients tuberculeux. Grâce à une application, les soignants vérifient quotidiennement la prise de comprimés, limitant les abandons et améliorant l’efficacité thérapeutique.
Vers un modèle durable d’ici 2026
Les discussions en cours avec les créanciers multilatéraux visent à sécuriser des lignes de crédit à long terme pour l’achat de médicaments essentiels. L’idée est de réduire la dépendance aux subventions, sans brusquer l’équilibre budgétaire national.
Le gouvernement explore aussi la production locale d’antirétroviraux génériques. Un partenariat public-privé, encore à l’étude, pourrait voir le jour dans la zone économique spéciale de Maloukou, offrant emplois et résilience sanitaire.
En conjuguant financement pérenne, prévention renforcée et innovations de suivi, le Congo-Brazzaville entend transformer la nouvelle alerte en opportunité. Objectif déclaré : garantir à chaque patient un traitement ininterrompu et poursuivre la lutte contre les épidémies, conformément à l’engagement présidentiel pour la santé de tous.
