Les promesses d’un second voyage d’étude
En plein mois de juillet, le tarmac de l’aéroport Maya-Maya a accueilli avec solennité une délégation modeste par le nombre, mais emblématique par la portée de sa mission. Cinq élèves du secondaire général et deux enseignants, conduits par la représentante de l’Unesco au Congo, Fatoumata Barry Marega, rentraient de Shenzhen après une semaine d’immersion au cœur de l’ingénierie algorithmique chinoise. Le périple, placé sous l’égide de l’initiative mondiale Unesco-Codemao, s’inscrit dans une logique d’accélération des compétences numériques au sein de l’espace scolaire congolais.
Conçu comme un laboratoire pédagogique itinérant, ce second voyage d’étude a approfondi les rudiments acquis l’an passé, en insistant cette fois sur la modélisation des réseaux neuronaux, l’apprentissage automatique et le traitement du langage naturel. Les bénéficiaires n’ont pas seulement observé, ils ont prototypé des micro-applications, testé des bibliothèques d’IA open source et défendu leurs projets lors de mini-hackathons face à leurs homologues asiatiques.
Cette diplomatie du savoir, au croisement de l’éducation et de la technologie, répond aux orientations nationales qui placent l’économie du numérique au rang de vecteur de diversification. Elle conforte également la conviction que l’intelligence artificielle, loin d’être un luxe réservé aux grandes puissances, constitue un instrument de développement pour les pays d’Afrique centrale.
Un partenariat sino-congolais sous le signe du numérique
Le partenariat entre l’Unesco, la start-up pédagogique chinoise Codemao et le ministère congolais de l’Enseignement général illustre une dynamique de coopération Sud-Sud en matière de technologies émergentes. Les autorités de Brazzaville entendent tirer profit de l’expertise asiatique et de la capacité logistique de l’Unesco pour bâtir une filière locale de talents numériques, complémentaire des investissements déjà consentis dans les infrastructures de fibre optique (Ministère des Postes et Télécommunications, 2022).
À Shenzhen, les participants ont fréquenté des laboratoires financés par le secteur privé, où l’expérimentation pédagogique fusionne avec la recherche appliquée. Ce choc de modernité a suscité un effet miroir fécond : d’un côté, la découverte d’une éducation axée sur la pratique et l’innovation rapide ; de l’autre, la conscience aiguë des défis d’adaptation à un contexte congolais marqué par des ressources matérielles plus limitées.
Selon Fatoumata Barry Marega, « la valeur ajoutée réside moins dans les machines que dans la méthode : apprendre à apprendre, collaborer par projets et croiser les regards culturels ». Ce transfert méthodologique, plus encore que les équipements, devrait irriguer durablement les établissements pilotes retenus par le gouvernement.
Former des enseignants multiplicateurs d’expertise
Si la lumière médiatique se focalise naturellement sur les prouesses des jeunes, la stratégie du programme accorde une place centrale aux enseignants, considérés comme multiplicateurs d’expertise. Chris Moukana, professeur de mathématiques appliquées au lycée Chaminade, confie avoir redécouvert « la puissance pédagogique des langages visuels, capables de démocratiser des concepts abstraits comme la rétro-propagation ». De retour à Brazzaville, il animera des ateliers destinés à ses pairs pour décliner la formation en modules ajustés au curriculum national.
Le ministère envisage en parallèle la création d’un certificat de compétences numériques destiné aux formateurs du secondaire. Cette démarche devrait assurer la pérennisation des acquis et éviter l’écueil classique d’initiatives isolées, où l’élan se dissout faute d’intégration structurelle.
Un comité de suivi, associant rectorat, inspection générale et partenaires techniques, évaluera annuellement l’impact de ces nouveaux outils didactiques sur les performances scolaires, notamment dans les disciplines STEM où le Congo ambitionne de gagner en compétitivité régionale.
Des élèves ambassadeurs d’une jeunesse connectée
Les cinq lycéens, sélectionnés sur concours, incarnent désormais une nouvelle génération d’ambassadeurs du numérique. Leur projet collectif, un prototype de chatbot culturel bilingue valorisant le patrimoine congolais, a reçu le prix spécial « Innovation sociale » du jury chinois. Cette reconnaissance symbolique nourrit un sentiment d’estime de soi, essentiel pour contrer l’autocensure technologique souvent observée chez les adolescents d’Afrique francophone.
La lycéenne Bernadette Menga Iloki résume l’état d’esprit : « Nous avons prouvé que la créativité congolaise sait dialoguer avec les meilleurs. Je me sens prête à partager cette expérience avec mes camarades, y compris dans les zones rurales ». Son engagement rejoint celui des autorités qui comptent sur un effet boule de neige pour diffuser les compétences dans le pays.
À terme, chaque participant devra animer un club de codage et d’IA dans son établissement, sous la supervision de son proviseur. Ce dispositif d’émulation horizontale complète la formation verticale des maîtres et traduit la volonté de démocratiser l’intelligence artificielle au-delà des capitales régionales.
Un levier pour la stratégie nationale de diversification
Le Congo-Brazzaville, longtemps tributaire des recettes pétrolières, inscrit depuis plusieurs années la transformation digitale au cœur de ses politiques publiques. Le Plan national de développement 2022-2026 insiste sur l’économie de la connaissance comme levier de création d’emplois qualifiés. Les initiatives Unesco-Codemao s’alignent ainsi sur la vision présidentielle visant à doter la jeunesse des compétences du XXIᵉ siècle tout en stimulant l’entrepreneuriat technologique local.
Au-delà de l’école, l’essor de l’intelligence artificielle ouvre des perspectives pour les secteurs de la santé, de l’agriculture intelligente ou encore de la gouvernance électronique. La montée en puissance de data centers nationaux, annoncée par le ministère de l’Économie numérique, fournirait l’infrastructure nécessaire à ces ambitions.
Les analystes soulignent toutefois que le succès passera par l’articulation entre formation, financement de la recherche et accès abordable à l’Internet haut débit. C’est à cette condition que les compétences acquises à Shenzhen se convertiront en solutions adaptées aux réalités locales, de la prédiction climatique à la valorisation des langues nationales.
Perspectives : bâtir un écosystème local de l’IA
Au sortir de cette seconde édition, trois chantiers prioritaires se dessinent. D’abord, inscrire le codage et l’IA dans les programmes officiels dès le collège, afin d’ancrer les apprentissages dans la durée. Ensuite, encourager l’émergence de start-up edtech congolaises capables d’adapter les contenus aux spécificités culturelles et linguistiques du pays. Enfin, consolider les partenariats public-privé pour financer laboratoires, hackathons et bourses de recherche.
Ces pistes, déjà évoquées dans les cénacles gouvernementaux, illustrent une approche pragmatique et progressive. Elles témoignent aussi d’une confiance renouvelée dans la capacité de la jeunesse à saisir les opportunités offertes par l’intelligence artificielle, tout en préservant les valeurs de solidarité et de diversité culturelle qui fondent la société congolaise.
En croisant diplomatie éducative, ambition industrielle et engagement citoyen, le voyage Unesco-Codemao donne corps à un récit national où le code devient un vecteur d’émancipation. Il appartient désormais aux acteurs publics et privés d’orchestrer cette symphonie numérique, afin que chaque salle de classe, de Pointe-Noire à Ouesso, résonne demain de l’effervescence créatrice de l’IA congolaise.