Un chantier emblématique pour l’agenda social du Congo
Dans la bourgade d’Aubeville, à une heure de route de Madingou, la carcasse de béton d’un centre d’insertion juvénile se transforme peu à peu en édifice à vocation sociale. Le ministre de la Jeunesse et de la Formation qualifiante, Hugues Ngouélondélé, en visite cette semaine, a constaté « des avancées palpables », un langage rarement déployé depuis le coup d’envoi du chantier en 2019. L’accélération actuelle est d’autant plus attendue que le Congo, selon le Programme des Nations unies pour le développement, affiche un taux de chômage des 15-24 ans supérieur à 23 %. Les autorités veulent convertir cette construction en vitrine de leur programme « Cap sur l’emploi 2025 ».
Après plusieurs mois d’interruption liée à la pandémie puis à des tensions de trésorerie, la reprise est désormais visible : maçonneries bouclées, couverture achevée, et, surtout, 90 % des travaux d’adduction en eau terminés, comme l’a confirmé le directeur technique de Stream Congo, Morel Ngayome. La Société nationale d’électricité assure également que le raccordement au réseau haute tension sera effectif avant la saison des pluies.
Un financement public-privé scruté par les bailleurs
Officiellement, le chantier est financé par un partenariat associant l’État, la Banque de développement des États d’Afrique centrale et un consortium d’entreprises locales. D’après un document interne du ministère des Finances consulté par notre rédaction, l’enveloppe globale s’élève désormais à 8,4 milliards de francs CFA, soit 12,8 millions d’euros : un chiffre en hausse de 27 % par rapport à l’estimation initiale de 2019. Le FMI, qui négocie un programme de facilité élargie avec Brazzaville, observe la dérive budgétaire avec prudence mais souligne que le projet « reste compatible avec les objectifs de réduction de la pauvreté ».
La London School of Economics, dans une étude de 2022 sur les centres de formation en Afrique centrale, rappelle toutefois que le succès de ces infrastructures dépend moins de leur coût que de la pertinence des cursus proposés et de la robustesse du suivi post-formation. Des bailleurs comme l’Agence française de développement attendent ainsi une clarification des mécanismes de gouvernance avant d’envisager un appui technique.
Des infrastructures pour une pédagogie axée sur l’employabilité
Le complexe d’Aubeville comprendra quinze salles de classe modulaires, un amphithéâtre de 250 places, des ateliers bois-métal, une ferme pédagogique et des dortoirs pouvant héberger 400 jeunes en décrochage scolaire. La Direction générale de la formation qualifiante promet une offre mêlant mécanique auto, agro-transformation, maintenance des réseaux et bureautique, en s’inspirant des modèles tunisiens de centres sectoriels. Le ministère insiste sur un accompagnement psycho-social destiné à prévenir la récidive chez les mineurs connaissant déjà un passage par la justice.
Selon l’Unicef, qui soutient la composante sanitaire via un don d’équipements, l’internat offrira une infirmerie de vingt lits et un service de santé mentale, une première au Congo pour ce type d’établissement. Les autorités veulent ainsi répondre aux critiques des ONG qui déplorent la transformation de certains centres de réinsertion africains en quasi-établissements pénitentiaires.
Les réticences des ONG face au modèle de rééducation
Si l’opinion publique voit d’un bon œil la perspective d’emplois, plusieurs organisations, dont Human Rights Watch et l’Observatoire congolais des droits de l’homme, redoutent un glissement sécuritaire. Elles pointent le risque de confusion entre rééducation et privation de liberté, citant le précédent du centre de Kombé, fermé en 2017 après des allégations de mauvais traitements. Pour Pacôme Babingui, sociologue à l’Université Marien-Ngouabi, « la réussite dépendra de la capacité à inclure la société civile dans la gouvernance ».
Le ministère balaie ces inquiétudes, assurant que « la durée de séjour ne dépassera pas douze mois et reposera sur le volontariat ». Une charte de droits et devoirs, inspirée du modèle rwandais d’Iwawa, doit être finalisée avant l’ouverture.
Enjeux diplomatiques et régionaux de la réinsertion juvénile
La Bouenza, frontalière de l’Angola et du Cabinda, est régulièrement citée par les agences de sécurité comme zone de transit de migrations informelles et de trafics. Pour Brazzaville, offrir des perspectives professionnelles à la jeunesse locale répond donc aussi à un impératif de stabilisation régionale. Lors de la dernière réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’UA à Addis-Abeba, la délégation congolaise a présenté le chantier d’Aubeville comme contribution à la lutte contre les déplacements forcés et la criminalité transfrontalière.
Ce positionnement s’inscrit dans le sillage de la stratégie continentale 2024-2033 sur l’autonomisation des jeunes, document validé par les chefs d’État africains en février. En cas de succès, le modèle pourrait être répliqué à Ouesso et Dolisie, deux autres villes stratégiques du corridor Pointe-Noire-Brazzaville.
Entre scepticisme et espoir, le pari d’une mise en service en 2024
Les ingénieurs tablent désormais sur un achèvement en décembre 2023 et une première rentrée de stagiaires au premier trimestre 2024. Ce calendrier reste ambitieux, compte tenu des intempéries et des procédures d’homologation encore pendantes auprès du ministère de la Santé. L’opinion y voit néanmoins une opportunité : selon un sondage réalisé en avril par l’Institut congolais de sondage politique, 62 % des habitants de la Bouenza jugent le projet « essentiel » pour la cohésion sociale.
Le Congo joue donc une partie d’équilibriste : transformer une promesse maintes fois reportée en réalité tangible, tout en rassurant partenaires financiers et défenseurs des droits humains. Si le pari est tenu, Aubeville pourrait devenir le laboratoire de la réinsertion intelligente, conjuguant formation, encadrement et ouverture sur le marché régional de l’emploi. Le scepticisme reste tenace, mais, pour la première fois depuis quatre ans, les murs sortent de terre et l’eau coule déjà dans les conduites. Dans la chaleur moite de la Bouenza, c’est parfois le signe le plus concret d’un espoir qui s’entête.