Une échoppe qui détonne
Dès l’arrêt Coaster, la ruche commerçante du marché Total accueille le visiteur par un étonnant tableau : au milieu des étals de fruits et de tissus, une table de produits cosmétiques aligne des emballages vantant fessiers sculptés et performances intimes. L’imagerie tranche nettement avec l’environnement familial du lieu.
Le vendeur, sourire tranquille, vante des gels chauffants et des poudres tonifiantes. Ses boîtes bariolées exhibent des silhouettes nues dans des poses explicites. Pour capter l’œil dans la cacophonie visuelle du marché, l’argument iconographique semble plus efficace qu’un long discours commercial.
Regards croisés des client·e·s
Marcelline, mère de trois enfants, confie détourner le regard pour éviter les questions de son benjamin. « Je ne suis pas contre la médecine douce, mais certaines images devraient rester sous le comptoir », soupire-t-elle avant de rejoindre le rang du poisson fumé.
À l’inverse, Michel, jeune mécanicien, admet s’être arrêté par curiosité. « Je vis seul, je peux regarder. Les photos aident à comprendre l’usage du produit », dit-il. En quelques mètres carrés, le marché révèle ainsi la variété des sensibilités congolaises face au corps et à la sexualité.
Entre commerce informel et image de soi
Pour les sociologues, l’étal cristallise la diffusion rapide de standards corporels mondialisés. Les promesses de hanches arrondies ou d’endurance virile répondent à de nouvelles normes esthétiques promues sur les réseaux sociaux, observe la chercheuse Jeannette Mvoula. Le marché devient alors le relais le plus accessible de cette quête identitaire.
Sur le plan économique, la filière reste grise. Les produits arrivent majoritairement du Nigeria ou de Chine, transitent par Pointe-Noire, puis rejoignent Brazzaville via un circuit parallèle. Leur succès, nourri par le bouche-à-oreille, illustre l’agilité commerciale du secteur informel urbain.
Cadre légal congolais sur la décence
Le Code pénal congolais réprime l’exposition d’images à caractère pornographique dans l’espace public. L’article 149 prévoit des amendes et des peines d’emprisonnement. La loi sur la protection de l’enfant insiste également sur le devoir de préserver les mineurs de contenus susceptibles de heurter leur développement.
Dans les faits, les commerçants invoquent souvent l’ignorance du texte ou soulignent l’absence d’affiches officielles rappelant l’interdiction. Les juristes interrogés estiment pourtant que la réglementation est claire, mais nécessite une pédagogie continue et des opérations de sensibilisation ciblées dans les lieux de vente.
Police et médiation quotidienne
Chaque matin, une patrouille vient disperser les vendeuses installées sur la chaussée, signe d’une présence policière régulière. Toutefois, les agents se montrent plus flexibles face aux emballages suggestifs. Un officier, sous couvert d’anonymat, évoque « une priorité donnée à la fluidité de la circulation » plutôt qu’à la morale visuelle.
Les médiateurs du marché plaident pour une approche graduée. « Il faut dialoguer avant de sanctionner », rappelle le chef de secteur, qui propose de remplacer les emballages les plus crus par des notices rangées sous le comptoir. Le vendeur concerné aurait, selon lui, déjà accepté le principe d’un compromis.
Dimensions culturelles et corporelles
Dans la société congolaise, le corps reste un marqueur majeur de statut. Depuis les rites de puberté jusqu’aux célébrations urbaines, la chair est signe de vitalité et de réussite. « Les produits d’augmentation fessière s’inscrivent dans cette symbolique, sans pour autant annuler nos référents traditionnels », analyse l’anthropologue Gaston Kamba.
Les débats autour de la pudeur reflètent également la pluralité religieuse du pays. Églises de réveil, associations musulmanes et mouvements kimbangistes expriment des positions nuancées, oscillant entre l’appel à la moralité publique et la reconnaissance du libre arbitre individuel.
Vers une régulation concertée
Le conseil municipal de Bacongo envisage de mettre à jour l’affichage réglementaire dans les marchés de l’arrondissement. Une campagne d’information, couplée à des séances de formation pour les commerçants, serait programmée durant le prochain trimestre, selon une note interne consultée par nos soins.
Parallèlement, des organisations de consommateurs préparent un guide pratique sur les produits corporels afin d’éclairer l’achat responsable. L’objectif est de conjuguer santé publique, respect des mœurs et maintien de l’activité économique qui fait vivre de nombreuses familles.
Pour les habitants, la solution passera sans doute par la négociation quotidienne d’un compromis. Le marché Total restera cet espace pluraliste où se côtoient traditions, aspirations modernes et autorités vigilantes. L’échoppe incriminée, désormais au centre du débat, témoigne avant tout du dynamisme social d’une capitale en mutation continue.