Montée des tensions à Djiri
La série de heurts nocturnes survenus mi-août dans le quartier Domaine, à Djiri, a rappelé la vulnérabilité de certains arrondissements périphériques de Brazzaville. Deux jeunes ont péri dans des affrontements opposant des bandes rivales, relançant les inquiétudes sur la recrudescence du banditisme urbain.
Alerté, le commandant des forces de police, le général André Fils Obami-Itou, a effectué une descente, accompagné du colonel-major Gabin Romuald Simplice Ngoyela et des autorités locales. Leur objectif : diagnostiquer la situation, rassurer les riverains et rappeler que la sécurité demeure un bien collectif.
La stratégie policière en mutation
Sur place, le haut gradé a dressé un constat lucide : la police, malgré des effectifs renforcés, ne peut seule endiguer le phénomène dit des « bébés noirs ». Ces groupes d’adolescents, parfois instrumentalisés par des réseaux plus structurés, exploitent la porosité des ruelles pour échapper aux patrouilles.
Dès lors, la stratégie évolue. Les services territoriaux multiplient les réunions de proximité, tandis que des unités motorisées quadrillent les axes les plus sensibles. « Nous devons conjuguer fermeté et intelligence du terrain », résume un officier de la légion de gendarmerie, soulignant l’importance d’une cartographie vivante des zones à risque.
Communautés au cœur de la prévention
Au-delà de la réponse coercitive, l’état-major mise désormais sur la vigilance communautaire. Dans les rues de Djiri, des Comités locaux de sécurité sont relancés. Chefs de quartier, leaders religieux et éducateurs y partagent informations et signalements, créant une chaîne d’alerte que les réseaux sociaux amplifient.
M. Malonga, coordonnateur du secteur 907, assure que la méthode porte déjà ses fruits : « Les patrouilles mixtes rassurent nos commerçants et, surtout, les parents commencent à s’organiser pour connaître l’emploi du temps de leurs adolescents. » Dans plusieurs rues, on remarque le retour des veillées de voisinage.
Responsabilité familiale et tissu social
Les sociologues interrogés rappellent néanmoins que la première ligne de défense reste le foyer. Selon la professeure Clarisse Tchicaya, spécialiste de l’enfance en danger, « le sentiment d’appartenance à la famille se dilue lorsqu’apparaissent chômage prolongé et promiscuité, terreau sur lequel prospère l’économie délinquante ».
Dans beaucoup de ménages, le départ précoce des parents pour le travail limite le contrôle parental. Le général Obami-Itou exhorte donc les adultes à « rétablir le dialogue intergénérationnel et signaler, sans crainte, tout comportement déviant ». Une approche qui veut conjuguer autorité, écoute et solidarité.
Programmes de réinsertion en gestation
En parallèle, la Direction générale de la réinsertion planche sur un dispositif d’accompagnement ciblé. Il s’agit de proposer à ces jeunes des formations courtes en mécanique, menuiserie ou numérique, financées par des partenariats public-privé, et débouchant sur des stages auprès d’artisans installés dans la capitale.
Un comité de suivi réunissant magistrats, éducateurs et psychologues évaluera chaque trimestre la trajectoire des bénéficiaires. « Le but n’est pas seulement d’occuper les mains, mais de construire une identité citoyenne », précise un expert du ministère des Affaires sociales, convaincu de l’effet multiplicateur des exemples positifs.
Analyse sociologique du phénomène
Les chercheurs de l’Université Marien Ngouabi soulignent, dans une récente note, le rôle des représentations médiatiques. Plus le terme « bébés noirs » est relayé sans nuance, plus il forge une identité marginale attractive pour certains adolescents en quête de reconnaissance. D’où l’importance d’un discours public mesuré et responsabilisant.
L’anthropologue Jean-Marie Beni a, pour sa part, observé la dimension rituelle de la violence de rue, souvent scénarisée sur les plateformes numériques. Des vidéos amatrices, rapidement virales, entretiennent la compétition entre groupes rivaux. Réduire cette circulation d’images passe aussi par une coopération avec les opérateurs télécoms.
Perspectives et engagement collectif
Avec l’approche de la rentrée scolaire, la symbolique du cartable pourrait devenir un levier. Plusieurs chefs d’établissement envisagent de consacrer la première semaine de cours à des ateliers civiques, animés conjointement par policiers et artistes urbains, pour désamorcer la fascination de l’illégalité auprès des plus jeunes.
Les autorités municipales projettent également l’installation de lampadaires solaires sur les artères dépourvues d’éclairage public. L’expérience menée dans le sixième arrondissement a montré une baisse de près de 30 % des agressions nocturnes. La société Énergie Électrique du Congo promet une mise en service progressive dès octobre.
Pour certains habitants, ces signaux d’espoir restent fragiles. « Nos enfants ont besoin d’horizons, pas seulement de rondes », confie Awa, mère de trois adolescents. Elle accueille cependant favorablement la dynamique actuelle : « Voir généraux et enseignants se déplacer ensemble change l’atmosphère du quartier ».
Experts et autorités conviennent que le succès dépendra de la capacité à maintenir cette synergie dans la durée. Une évaluation semestrielle des indicateurs de sûreté, couplée à des enquêtes de satisfaction des riverains, doit permettre d’ajuster les dispositifs sans attendre que la violence change de forme.
En s’appuyant sur la vigilance citoyenne, la modernisation des moyens policiers et le renforcement du filet social, Brazzaville entend démontrer qu’une métropole africaine peut, à budget constant, inverser la courbe de la criminalité juvénile. Le défi est collectif, mais l’élan actuel nourrit un optimisme prudent.