Des quartiers sous tension face aux bandes armées
À Bacongo, Mfilou ou Makélékélé, la rumeur d’une descente des “bébés noirs” suffit désormais à vider les ruelles. Ces bandes de très jeunes délinquants, souvent armés de couteaux ou de machettes, ont multiplié ces derniers mois les vols éclairs et les agressions nocturnes.
La population, inquiète, a multiplié les appels aux autorités pour rétablir la sérénité. Dans certains secteurs, des commerçants ferment plus tôt et les taxis refusent des courses après la tombée de la nuit, redoutant des embuscades toujours plus audacieuses.
Une riposte sécuritaire d’envergure
Face à cette spirale, la Direction générale de la sécurité présidentielle et la Garde républicaine ont lancé, il y a une semaine, une opération conjointe présentée comme un « coup de filet » destiné à démanteler les réseaux criminels et rassurer les riverains.
Des patrouilles renforcées sillonnent désormais les artères principales, tandis que des contrôles d’identité s’effectuent aux carrefours stratégiques. Selon les responsables de la mission, l’objectif est de « neutraliser les fauteurs de troubles » tout en préservant la libre circulation des citoyens.
La voix prudente de la société civile
Le Centre d’actions pour le développement observe toutefois que certaines vidéos relayées sur les réseaux sociaux laissent entrevoir des méthodes expéditives. Son responsable, Guerschom Gobouang, évoque « plusieurs décès sans procès » et demande la saisine rapide des juridictions compétentes pour clarifier les faits.
Même tonalité prudente à l’Observatoire congolais des droits de l’homme. L’ONG rappelle que la lutte contre le banditisme est légitime, mais estime que l’intervention d’une unité présidentielle dans un rôle de maintien de l’ordre mérite une base juridique clairement explicitée.
Quels garde-fous juridiques pour les opérations spéciales ?
Le code de procédure pénale congolais attribue normalement les missions de police judiciaire à la Direction générale de la police nationale. Certains juristes redoutent qu’un chevauchement de compétences ne fragilise le principe de responsabilité et rende plus complexe l’investigation ultérieure d’éventuels abus.
Interrogé par notre rédaction, un magistrat affirme privilégier la recherche d’éléments matériels avant toute qualification pénale. « Si des infractions ont été commises », précise-t-il, « elles devront être documentées, puis les responsabilités établies, quel que soit le grade des personnes impliquées ».
Entre efficacité et droits humains, le dilemme
Sur le terrain, les habitants saluent la présence accrue des forces de l’ordre, perçue comme une barrière momentanée contre les lames des agresseurs. Nombreux restent néanmoins soucieux de ne pas voir se prolonger un climat où la peur changerait seulement de camp.
Pour l’heure, le gouvernement privilégie la concertation. Une source proche du ministère de l’Intérieur indique que des briefings quotidiens évaluent l’opération et que des ajustements sont possibles « pour concilier efficacité et strict respect des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution ».
Un ancien commandant de brigade, aujourd’hui consultant en sécurité, rappelle que la lutte contre la délinquance juvénile doit inclure prévention et réinsertion. « Ces mineurs répondent parfois à la pauvreté ou à l’oisiveté. La répression sans accompagnement serait une victoire à court terme », prévient-il.
Plusieurs associations de jeunes envisagent d’organiser des campagnes de sensibilisation dans les écoles et les marchés afin de décourager l’adhésion aux gangs. Elles plaident aussi pour des programmes sportifs et culturels capables d’occuper sainement les après-midi dans les arrondissements sensibles.
Sur le plan légal, des avocats soulignent que la minorité pénale fixée à 18 ans complique les poursuites lorsque l’auteur présumé est un adolescent. Des mesures éducatives peuvent alors se substituer aux peines de prison, avec un suivi psychologique jugé indispensable.
Dans la capitale, les discussions alimentent cafés et plateformes numériques. Certains internautes estiment que la fermeté était attendue depuis longtemps, d’autres craignent que l’opération ne débouche sur un précédent délicat où la ligne entre sécurité et liberté resterait floue.
Les observateurs internationaux suivent le dossier avec attention, notamment parce que Brazzaville avait déjà été citée en exemple pour ses initiatives de désarmement communautaires menées dans le passé. Une dérive répressive risquerait, selon eux, de ternir cet acquis diplomatique.
Au parlement, quelques députés préparent des questions orales portant sur le cadre d’intervention et le bilan humain provisoire. Le débat, prévu lors de la prochaine session, pourrait offrir une tribune inédite aux ministres chargés de la Sécurité et de la Justice.
Le chef de l’État, régulièrement informé, s’est félicité des avancées dans la sécurisation de la capitale tout en invitant les commandements concernés à rester exemplaires. « Chaque Congolais a droit à la protection et à la dignité », a-t-il rappelé lors d’une allocution interne.
Si le calme revient durablement, l’exemple brazzavillois pourrait inspirer d’autres villes confrontées au même phénomène régional. À condition que l’équilibre délicat entre fermeté, légalité et accompagnement social reste au cœur de l’action publique, soulignent unanimement experts et associations.
Perspectives d’avenir
Le ministère de la Jeunesse prépare, selon nos informations, un plan d’investissement ciblé dans les centres socio-culturels des quartiers touchés, avec des formations aux métiers du numérique et aux arts urbains.