Un crépuscule sous tension dans le neuvième arrondissement
À partir de 19 heures, les artères sinueuses de Trois Poteaux et d’Ibalicko se vident comme par réflexe pavlovien. Les habitants, commerçants et fonctionnaires rejoignent en hâte la quiétude relative de leurs concessions, conscients que les rues offrent alors un théâtre propice aux expéditions de jeunes armés de machettes – les désormais célèbres « bébés noirs ». Le phénomène, certes ancien, a ressurgi depuis une dizaine de jours avec une intensité qui surprend même les officiers aguerris du poste de sécurité publique local. Au-delà de la simple chronique des faits divers, cette flambée violente révèle les fragilités de la fabrique urbaine congolaise et interroge le contrat social entre la jeunesse périphérique et les institutions régaliennes.
Les racines socio-économiques d’une dérive juvénile
Les sociologues identifient depuis une quinzaine d’années l’émergence des « kulunas » comme symptôme d’une économie informelle saturée, d’une scolarisation en dents de scie et d’une démographie juvénile explosive. À Djiri, arrondissement en plein essor démographique, la densité de population dépasse déjà les capacités d’infrastructures scolaires et récréatives. Confrontés à un marché du travail limité, certains adolescents se tournent vers la violence pour conquérir un statut symbolique et des ressources immédiates. « L’absence de perspectives nettes rend l’option déviante d’autant plus attractive qu’elle confère une visibilité et un pouvoir immédiats », explique un chercheur de l’Université Marien-Ngouabi spécialisé dans les politiques de la jeunesse.
À cette dimension économique se superpose le sentiment d’injustice nourri par des passages prolongés en détention préventive, parfois sans jugement. C’est le cas du jeune leader impliqué dans les dernières attaques, libéré récemment et animé, selon les témoignages, d’un désir de représailles. Le cycle se nourrit donc d’expériences carcérales qui, faute d’accompagnement, aggravent la sociabilité violente plutôt qu’elles ne la résorbent.
La géographie, alliée involontaire des groupes violents
L’urbanisation rapide de Brazzaville a engendré des quartiers-labyrinthes où l’éclairage public demeure sporadique et où les accès routiers se transforment en caniveaux boueux durant la saison des pluies. Trois Poteaux et Ibalicko, zones de plateau enclavées, illustrent cette réalité : l’isolement relatif retarde les patrouilles motorisées et offre aux groupes violents une topographie idéale pour se disperser. « La configuration du bâti nous oblige souvent à intervenir à pied, ce qui laisse un temps de manœuvre aux malfaiteurs », confie un officier de police sous couvert d’anonymat.
Consciente de ces contraintes, la municipalité de Brazzaville a annoncé un programme de réhabilitation des voiries secondaires et d’installation de lampadaires solaires, avec le soutien du ministère de l’Énergie. L’objectif est clair : réduire les zones d’ombre qui favorisent les agressions et rétablir la continuité territoriale entre le centre-ville et ses marges.
Dispositif sécuritaire : entre dissuasion et dialogue
Le gouvernement congolais a, dès les premières alertes, renforcé la présence policière dans l’arrondissement. Des unités mobiles sont désormais déployées en appui au poste fixe, et les coups de sommation entendus certaines nuits traduisent la volonté d’occuper l’espace pour dissuader les incursions. Parallèlement, le ministère de l’Intérieur réactive les comités de vigilance de quartier, instruments de veille citoyenne qui avaient montré leur efficacité lors des précédentes vagues de violence. Le commandant du groupement de Brazzaville rappelle cependant que « l’action répressive ne produira de résultats durables qu’accompagnée d’un travail de proximité auprès des familles ».
Cette approche duale se traduit, depuis le début de l’année, par des ateliers de médiation animés par des leaders religieux et coutumiers. Les jeunes interpellés y sont invités à exprimer leurs doléances et à s’orienter vers les structures de formation professionnelle mises à disposition par l’Agence nationale de l’emploi. Selon le préfet de Brazzaville, plus d’une cinquantaine de jeunes issus des kulunas ont déjà intégré ces dispositifs, avec un taux de récidive inférieur à 15 %, signe que la réinsertion portée par l’État et la société civile peut constituer un antidote crédible.
La société civile, levier complémentaire de cohésion
Face à l’urgence, les organisations communautaires de Djiri renouent avec des stratégies de solidarité ancestrale : mutuelles de voisinage, rondes nocturnes encadrées par les autorités, et campagnes de sensibilisation dans les écoles. L’ONG Programme Jeunesse sans Frontières, financée en partie par le Fonds national d’Insertion, organise chaque week-end des tournois sportifs destinés à canaliser l’énergie des adolescents. « Le ballon rond coûte moins cher qu’une intervention chirurgicale après une agression », ironise son coordinateur, rappelant l’impact préventif du sport sur la cohésion sociale.
Pour les diplomates en poste à Brazzaville comme pour les partenaires techniques, cette effervescence associative constitue un indicateur positif. Elle démontre la capacité des territoires à devenir acteurs de leur propre sécurité, en complément des politiques publiques. L’enjeu consiste désormais à pérenniser les financements afin que ces initiatives ne s’essoufflent pas une fois l’émotion médiatique retombée.
Répondre à l’urgence tout en pensant le long terme
La séquence que traverse Djiri rappelle que la sécurité urbaine ne saurait se réduire à la seule gestion de l’ordre public. Elle convoque une approche globale, mêlant aménagement, éducation, justice et participation citoyenne. Les autorités congolaises ont amorcé cette transversalité : renforcement policier immédiat, chantiers d’infrastructures pour éclairer et désenclaver, programmes de réinsertion et multiplication des espaces de dialogue. Autant de jalons qui, s’ils sont consolidés, peuvent transformer l’épisode actuel en pivot vers une plus grande résilience urbaine.
À court terme, les habitants de Trois Poteaux et d’Ibalicko attendent surtout de pouvoir déambuler sereinement à la nuit tombée. À moyen terme, l’ensemble du pays observe l’expérience de Djiri comme un laboratoire : réussir à y réduire durablement la violence juvénile signifiera qu’une gouvernance alliant fermeté républicaine et inclusion sociale peut triompher des plus tranchantes des lames.