Une joute oratoire au cœur de la Maison Russe
Dans l’élégante bâtisse de la Maison Russe, avenue du Plateau, un silence studieux a remplacé l’effervescence habituelle des ateliers linguistiques. Devant un jury mêlant universitaires congolais et pédagogues russes, une dizaine de lycéens ont, le 8 juillet, disputé la phase finale de la présélection nationale pour l’Olympiade internationale de la langue russe 2025. L’épreuve, brève mais intense, consistait à délivrer en trois minutes un passage d’« Anna Karénina » de Léon Tolstoï, dans un russe soutenu, modulé et expressif. À mesure que les voix se succédaient, les murs chargés de portraits de grands écrivains semblaient épouser la cadence des alexandrins slaves, rappelant que l’apprentissage d’une langue est aussi un exercice de présence scénique.
De la grammaire à Tolstoï, un parcours exigeant
La sélection avait démarré plusieurs semaines plus tôt dans les lycées Nganga Édouard, La Réconciliation, Sébastien Mafouta, Thomas Sankara B et Atlas. Une batterie de tests de grammaire, d’orthographe et de compréhension écrite avait d’abord permis de filtrer les candidats. L’oral consacré à Tolstoï clôturait cette montée en puissance académique. En choisissant un roman dense, où l’alternance des registres de langue joue un rôle central, les organisateurs ont voulu mesurer non seulement la maîtrise lexicale, mais encore la capacité des élèves à saisir la subtilité d’un univers littéraire emblématique. L’exercice, explique Maria Fakhrutdinova, directrice de la Maison Russe, « évalue l’aptitude à articuler un propos complexe, à incarner un personnage et à contextualiser une œuvre dans son époque ».
Leadership et soft power linguistique
Cette évolution du concours révèle une inflexion stratégique : la langue n’est plus uniquement un objet d’étude, elle devient vecteur de leadership. Le jury observe désormais l’aisance scénique, le sens de la persuasion et la capacité à fédérer un auditoire. Ces compétences rejoignent les attentes des universités russes qui, dans leurs programmes d’ingénierie ou de sciences humaines, privilégient des profils interculturels. Pour le Congo, investir dans un tel événement signifie doter la future élite d’outils permettant de dialoguer directement avec des partenaires économiques et technologiques russes, sans l’intermédiation de langues tierces.
Témoignages d’élèves congolais séduits
Au sortir de la salle, Fardie Ouamba, terminale A, lauréate potentielle, confie son enthousiasme. Elle décrit la métamorphose ressentie depuis son premier cours trois ans plus tôt : « La phonétique russe me paraissait ésotérique, puis j’ai découvert une musique intérieure dans chaque déclinaison ». Son témoignage rejoint celui de plusieurs camarades qui, par la découverte de Pouchkine ou de Tchekhov, se sont initiés à une autre lecture du monde. Ils y voient une émancipation symbolique—le sentiment de franchir les frontières cognitives souvent tracées par la seule connaissance du français et du lingala.
Diplomatie éducative russo-congolaise
La présélection s’insérait dans la Semaine de la langue et de la culture russes, coordonnée avec l’Université pédagogique d’État de Voronej et la Fondation Monhistoire. Conférences, spectacles chorégraphiques, ateliers de formation pour enseignants : chaque activité visait à consolider un pont culturel bâti depuis les années 1960, lorsque les premières bourses soviétiques furent accordées à des étudiants congolais. Ofelia Varénova, experte invitée, rappelle que « l’amitié entre la Russie et le Congo relève d’une mémoire partagée de coopération scientifique et culturelle ». L’initiative s’inscrit dans une diplomatie du savoir où la langue agit comme instrument de proximité, complémentaire aux partenariats énergétiques ou miniers déjà établis.
Les chiffres du ministère congolais de l’Enseignement général indiquent une multiplication par deux des apprenants de russe en cinq ans, modeste encore en valeur absolue mais révélatrice d’un intérêt croissant pour la diversification linguistique. Dans les couloirs de la Maison Russe, les affiches vantant les programmes de mobilité à Moscou, Saint-Pétersbourg ou Kazan traduisent cette ouverture.
Des perspectives académiques et professionnelles élargies
Les résultats définitifs seront publiés à la fin juillet, avant une sélection en ligne simultanée avec les candidats de plus de cinquante pays. Les finalistes congolais, attendus à Moscou à l’automne, bénéficieront d’une immersion qui va bien au-delà du concours. À la clé : des bourses d’études, des formations universitaires et l’accès à un réseau d’interprètes et de spécialistes des relations internationales. Les autorités éducatives congolaises, en phase avec la Stratégie nationale de promotion du plurilinguisme, entendent capitaliser sur ces retombées pour renforcer les filières de traduction, d’enseignement et de diplomatie économique.
En appelant les jeunes à persévérer, les organisateurs rappellent que la maîtrise du russe peut constituer un atout différenciant sur un marché du travail régional dominé par l’anglais et le mandarin. Entre la perspective d’un doctorat en ingénierie nucléaire et celle d’un poste d’interprète à la Zone économique spéciale de Maloukou, le spectre des possibilités se révèle large. Ainsi, la scène où les adolescents brazzavillois déclament Tolstoï se lit déjà comme le prélude d’une projection internationale, susceptible de renforcer la visibilité du Congo sur des terrains scientifiques, culturels et diplomatiques en constante recomposition.