Dialogues pluriels autour d’une forêt sous tension
Le forum multi-acteurs qui s’est tenu les 23 et 24 juin à Brazzaville n’a pas seulement rassemblé une trentaine de participants, il a fait converger des univers rarement assis à la même table : organisations de la société civile, représentants ministériels, cadres d’entreprises forestières, exploitants miniers artisanaux, alliés diplomatiques et délégués des peuples autochtones. L’Observatoire congolais des droits de l’Homme et la Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme, cheville ouvrière de l’événement, ont volontairement opté pour un format inclusif, jugeant que la durabilité exige « des voix dissonantes mais complémentaires » (déclaration OCDH, 2024). Durant deux journées de panels serrés, les intervenants ont disséqué l’état des initiatives climatiques dans le deuxième massif forestier tropical de la planète, évaluant à la fois les progrès amorcés par le Partenariat pour les forêts du bassin du Congo et les retards criants en matière de contrôle des concessions privées.
Gouvernance et légalité, les angles morts des concessions
Le constat dressé par les participants est sans détour : malgré la rhétorique officielle sur la « gestion durable », les concessions forestières continuent de poser problème. Les cartes d’exploitation n’épousent pas toujours la réalité topographique, les plans d’aménagement sont faiblement appliqués et la consultation des communautés demeure souvent formelle. Selon le dernier rapport indépendant d’audit de légalité commandé par l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, plus de 40 % des concessions vérifiées présentent au moins une irrégularité majeure, allant du non-paiement des taxes au non-respect des clauses sociales. La mise à jour de la grille de légalité APV/FLEGT, réclamée depuis 2019, aurait pu pallier ces lacunes, mais elle demeure en suspens faute de décret d’application.
Entre faune, climat et zinc, l’imbroglio législatif
L’une des recommandations phares du forum, l’adoption rapide du projet de loi sur la faune et les aires protégées, révèle la complexité des arbitrages congolais. Alors que le texte est attendu depuis trois législatures, l’essor des permis miniers dans l’hinterland, notamment pour le zinc et le coltan, multiplie les chevauchements de titres. Le ministère des Mines défend la création d’emplois et de devises, tandis que l’administration forestière argue que 800 000 hectares de forêts intactes pourraient basculer vers l’extraction si aucune barrière légale n’est érigée. « Nous ne sommes pas contre l’investissement, mais l’investissement doit composer avec la survie des écosystèmes », a rappelé à la tribune Arlette Soudan-Nonault, ministre de l’Environnement, dont l’intervention a marqué les esprits par son ton plus ferme qu’à l’ordinaire.
Au-delà de la biodiversité, c’est aussi la diplomatie climatique du Congo qui se joue. Le pays a promis, dans sa Contribution déterminée au niveau national mise à jour en 2021, de réduire de 48 % ses émissions à l’horizon 2035, un objectif ambitieux reposant en grande partie sur la séquestration offerte par ses forêts. Tout recul législatif fragiliserait ce socle et, partant, la crédibilité internationale de Brazzaville dans les négociations onusiennes.
Une diplomatie climatique sous influence de Londres et Bruxelles
Le soutien financier du gouvernement britannique et l’appui technique de l’organisation européenne Fern offrent un révélateur des nouveaux équilibres. Londres entend consolider son rôle dans le bassin du Congo après le départ de l’Union européenne, alors que Bruxelles cherche, au contraire, à réaffirmer sa présence par des mécanismes carbone plus contraignants. Cette rivalité feutrée se traduit par une multiplication de projets-pilotes ciblant la gouvernance des ressources naturelles, parfois au prix d’une dispersion des normes. Plusieurs experts redoutent la « balkanisation réglementaire » qui ferait coexister des standards britanniques, européens et chinois sur un même périmètre. Pour le diplomate Jean-Marie Batambole, ancien négociateur à la COMIFAC, le risque est clair : « À force de vouloir plaire à tous les bailleurs, nous finissons par ne satisfaire personne et surtout pas nos propres communautés ».
Ces tensions se doublent d’une compétition sourde autour des marchés du carbone volontaires. Le Congo, qui revendique la possibilité de monétiser ses puits de carbone, est courtisé par des courtiers basés à Londres et à Abu Dhabi. Plusieurs concessions forestières se sont déjà vues proposer des contrats de vingt-cinq ans, avec des clauses de confidentialité peu compatibles avec la transparence prônée par le forum de Brazzaville.
Perspectives : le pari d’une régulation endogène
En clôturant les travaux, les organisateurs ont insisté sur l’opérationnalisation des cadres de concertation dans chaque concession, instrument conçu pour associer les communautés aux décisions. Les précédents au Cameroun et au Gabon montrent qu’une telle architecture peut réduire les conflits fonciers et fluidifier la gouvernance, à condition d’être dotée de ressources et de pouvoir coercitif. Le ministère congolais de l’Économie forestière s’est engagé à publier, d’ici décembre, les arrêtés fixant la quote-part des redevances reversées aux populations locales.
La balle est désormais dans le camp du Parlement appelé à arbitrer entre les pressions de l’industrie extractive, la nécessité de préserver un capital naturel exceptionnel et les attentes d’une jeunesse convaincue que l’avenir se négocie autant sous la canopée qu’au fond d’un puits minier. Si la régulation tarde, c’est tout le modèle de croissance inclusif vanté par le Plan national de développement 2022-2026 qui pourrait vaciller. À l’inverse, un cadre juridique clair, adossé à des mécanismes de contrôle indépendants, offrirait au Congo un double dividende, écologique et diplomatique, précieux dans un monde désormais à la recherche frénétique de crédibilité climatique.