Un patrimoine foncier au cœur de la mémoire collective
Au-delà d’un simple impensé cadastral, la parcelle de Mpissa renvoie à une mémoire vive du Brazzaville colonial. Cédée dans les années 1940 par l’administration de l’Afrique-Équatoriale française à la communauté fondée par le prophète Simon Kimbangu puis relayée par le pasteur Matsoua, cette enclave urbaine s’est progressivement muée en sanctuaire identitaire. Les célébrations religieuses, les cérémonies de passage et l’entraide communautaire y ont scellé une dynamique que les urbanistes qualifient de « centralité de substitution », résistant aux transformations rapides de Bacongo. Dès lors, toute velléité de parcellisation s’apparente, pour les fidèles, à une amputation symbolique de leur histoire.
La généalogie juridique d’un terrain pas comme les autres
Le débat actuel se nourrit d’un étonnant chevauchement documentaire. D’un côté, un acte d’attribution collective figurant dans les registres du commissariat aux Affaires indigènes de 1943 ; de l’autre, un titre foncier délivré en 2000 au profit de la descendance de Daniel Tsiakaka, proche compagnon du mouvement religieux. Entre ces deux dates, la réforme foncière de 1964, la loi du 10 août 1973 sur le domaine national et, plus récemment, le Code du domaine public et privé de l’État de 2018 ont transformé les modalités d’appropriation. Or, le principe de l’inaliénabilité des biens affectés au culte, rappelé par l’article 152 dudit code, confère à la parcelle un statut hybride que le juge du 16 septembre 2024 n’a fait qu’effleurer dans ses attendus.
Les positions antagonistes entre héritiers et communauté religieuse
Pour les héritiers Tsiakaka, la parcelle relève d’une succession privée dont la valeur marchande, exacerbée par la pression immobilière, ne saurait être figée par un usage cultuel non formalisé. À l’inverse, le guide spirituel Borja Miakanguila voit dans l’ordonnance de mise sous séquestre une « atteinte à la foi et à la cohésion ». Son argumentaire s’appuie sur ce qu’il nomme « la vocation perpétuelle du don colonial », concept selon lequel la terre aurait été remise à un collectif et non à une lignée. Cette divergence de lecture produit une tension susceptible d’alimenter des clivages internes, certaines familles matsouanistes s’interrogeant sur l’opportunité de monétiser les lieux pour financer de nouveaux projets sociaux.
Le cadre normatif congolais sur la gestion des terres coutumières
La doctrine administrative congolaise rappelle que toute terre non immatriculée est, par défaut, propriété de l’État. Toutefois, lorsque l’usage coutumier est constant et pacifique, la jurisprudence admet des formes de reconnaissance collective. Les articles 27 à 31 du Code foncier plaident pour un équilibre entre sécurité juridique et respect des traditions. Dans le cas de Mpissa, l’attestation d’appréciation favorable délivrée par le chef de quartier pourrait servir de pièce maîtresse à une demande de concession collective. Encore faudrait-il qu’elle soit enregistrée au livre foncier, opération que la communauté religieuse n’a, jusqu’ici, pas entreprise, laissant s’installer une zone grise exploitée par les requérants.
Les enjeux sociopolitiques d’une médiation gouvernementale
La configuration actuelle place l’État congolais face à une triple responsabilité. D’abord, prévenir toute escalade sécuritaire dans un arrondissement densément peuplé où l’histoire religieuse se mêle à la concurrence foncière. Ensuite, conforter la confiance dans l’institution judiciaire, parfois soupçonnée de partialité dans les litiges de haute valeur. Enfin, préserver l’image d’une gouvernance qui privilégie la conciliation sur la coercition. Plusieurs observateurs évoquent la création d’une commission ad hoc regroupant ministère des Affaires foncières, autorité préfectorale et représentants des deux parties, à l’image des comités de règlement amiable lancés dans le Pool en 2021.
Vers une issue apaisée : pistes de réflexion
Au regard des précédents récents, une solution graduée paraît envisageable. L’hypothèse d’un bail emphytéotique consenti par les héritiers à la communauté offrirait une rémunération équitable tout en sanctuarisant la vocation cultuelle. Dans le même temps, l’immatriculation officielle au nom de l’État, assortie d’un certificat d’affectation, garantirait la pérennité de l’usage collectif, conformément à l’esprit des textes. Qu’il s’agisse d’arbitrage judiciaire ou de médiation, la clé réside dans la transparence des titres et la participation des acteurs locaux. Ainsi, Mpissa pourrait transformer un conflit en laboratoire de gouvernance foncière, renforçant, par ricochet, la cohésion nationale prônée par les autorités.