Un calendrier symbolique au service de la diplomatie urbaine
La proclamation, le 2 juillet, par le ministre de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier, Juste Désiré Mondelé, d’une opération spéciale de salubrité résonne comme un prélude protocolaire aux célébrations du 15 août. Au moment où l’État prépare l’anniversaire de la souveraineté nationale, la propreté des artères devient un enjeu diplomatique : il s’agit de présenter aux partenaires internationaux une capitale en phase avec ses ambitions de modernité. Ce couplage entre geste environnemental et rendez-vous historique illustre la manière dont le gouvernement congolais articule symbolique politique et gestion urbaine, interprétant la ville comme scène de projection de la souveraineté.
Restaurer l’autorité publique sur l’espace collectif
Au-delà de la dimension esthétique, l’opération consacre la réaffirmation de l’autorité de l’État. L’occupation informelle des trottoirs par des activités commerciales répond souvent à des contraintes socio-économiques, mais elle brouille la lisibilité de la voirie et fragilise la sécurité routière. En rappelant que les places publiques relèvent du domaine inaliénable de la collectivité, l’exécutif cherche à réguler les usages et à prévenir la privatisation de l’espace commun. « Le samedi il n’y aura pas d’excuse », a prévenu le ministre, soulignant que la force publique accompagnera la phase dite pédagogique avant d’éventuelles mesures coercitives. La gradation des interventions traduit la volonté de privilégier la sensibilisation tout en maintenant la possibilité d’une action ferme.
Civisme et copropriété urbaine : un pari sur la durée
Dans le discours gouvernemental, la propreté n’est pas seulement affaire d’hygiène ; elle participe d’une culture politique du vivre-ensemble. En invitant les comités des marchés à « impliquer systématiquement la population », le ministère promeut une logique de copropriété urbaine, selon laquelle chaque usager devient co-gestionnaire de l’espace public. Cette conception inscrit l’initiative dans la continuité de la campagne « Ensemble, gardons nos villes propres » lancée en 2023, tout en reconnaissant la nécessité d’un suivi plus rigoureux. Le caractère récurrent des opérations démontre que l’enjeu dépasse la simple mobilisation ponctuelle : il s’agit d’ancrer des comportements pérennes, de faire de la propreté un réflexe citoyen plutôt qu’une injonction verticale.
Les externalités positives d’une voirie désengorgée
Les économistes urbains soulignent qu’une circulation fluide réduit les coûts logistiques et améliore la compétitivité des centres-villes. Libérer carrefours et ronds-points, retirer les épaves, canaliser les points de vente informels : autant d’actions qui participent à la vitalité commerciale légale et à la sécurisation des déplacements piétons. En outre, la diminution des dépôts sauvages d’ordures atténue les risques sanitaires liés au paludisme et aux maladies hydriques. Dans un contexte de changement climatique où les villes africaines sont appelées à se rendre résilientes, l’assainissement urbain constitue un levier de santé publique autant qu’une composante de l’attractivité territoriale.
Concertation locale et responsabilité partagée
Les administrateurs-maires se voient confier la traduction opérationnelle des directives nationales. Plusieurs d’entre eux ont déjà entamé des séances de concertation avec les associations de commerçants afin d’identifier des sites de relocalisation compatibles avec la réglementation. La démarche, empreinte de pragmatisme, tient compte de la nécessité de préserver les chaînes de revenu informelles indispensables au tissu social. Comme le rappelle un urbaniste du Centre de recherche et d’études sur la ville africaine, « la viabilité d’une politique de déguerpissement se mesure à sa capacité à offrir des alternatives crédibles ». Sur ce point, la mise en fourrière graduelle des épaves et la création annoncée de points de collecte améliorés témoignent d’une approche qui vise l’équilibre entre exigence normative et soutenabilité sociale.
Un test grandeur nature pour la modernité congolaise
À l’échelle régionale, plusieurs capitales – de Kigali à Abidjan – ont fait de la salubrité un marqueur de gouvernance et de compétitivité. Brazzaville, en s’alignant sur cette tendance, ambitionne d’incarner une « ville‐pont » entre tradition hospitalière et standards internationaux. Observateurs diplomatiques et investisseurs scruteront la mise en œuvre effective de l’opération, considérant qu’elle préfigure la capacité de l’administration à conduire d’autres programmes structurants, notamment dans la voirie et la transition énergétique. La réussite de ce test renverrait l’image d’un État stratège, capable de concilier planification et dialogue social, et d’inscrire la modernité dans le paysage quotidien de ses citoyens.
Vers un changement de paradigme urbain
Si l’assainissement reste matériellement circonscrit au ramassage des déchets et au dégagement des trottoirs, il ouvre aussi la voie à une réflexion plus large sur le droit à la ville. Penser la propreté comme bien collectif implique d’articuler plan d’urbanisme, politiques sociales et participation citoyenne. À la veille de la célébration de l’indépendance, ce chantier symbolise une forme de souveraineté intérieure, celle qui consiste à maîtriser son propre espace, à en faire le décor d’une citoyenneté renouvelée. En promouvant une esthétique de la responsabilité partagée, l’opération spéciale se pose en laboratoire d’un nouvel horizon urbain, où l’État et les habitants co-écrivent le récit d’une indépendance toujours plus tangible.