Entre urgence médicale et symbole politique
L’inauguration, le 19 juin 2025, de l’unité publique de dialyse hébergée au Centre national de référence de la drépanocytose Antoinette Sassou Nguesso n’a pas seulement marqué la Journée mondiale dédiée à cette pathologie. Elle a surtout matérialisé, sous le crépitement des flashes et la solennité ministérielle, la promesse formulée il y a six ans par la Première dame du Congo, à la suite du décès d’une adolescente frappée d’insuffisance rénale aiguë. Le contraste entre l’émotion d’alors et la coupe de ruban d’aujourd’hui rappelle la tension permanente qui traverse les systèmes de santé d’Afrique centrale : pénurie chronique d’équipements et irruption sporadique d’initiatives caritatives de haute visibilité.
Une philanthropie qui comble les failles structurelles
Dotée de cinq postes opérés par des machines de dernière génération capables d’accepter divers consommables, l’unité vient pallier la saturation historique du service du Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Brazzaville, dont la trentaine de générateurs suffisait à peine à répondre aux pathologies rénales classiques. En inscrivant cette infrastructure dans l’enceinte même du Centre de référence, la Fondation Congo Assistance choisit d’articuler l’offre de dialyse à la prise en charge intégrée de la drépanocytose, maladie génétique la plus répandue au monde selon l’Organisation mondiale de la santé, avec près de 300 000 naissances affectées chaque année (OMS, 2023). S’il faut saluer la mobilisation privée, les observateurs notent que la dépendance vis-à-vis d’une fondation expose l’unité aux aléas de financements extrapubliques et pose la question de la soutenabilité à long terme.
Le fardeau continental de la drépanocytose
En Afrique subsaharienne, où l’espérance de vie d’un enfant drépanocytaire reste inférieure à cinq ans sans prise en charge adaptée (UNICEF, 2022), la pathologie représente un enjeu de santé publique aussi massif que silencieux. Au Congo, aucune statistique nationale exhaustive n’a encore été publiée, mais les pédiatres de l’hôpital de Makélékélé estiment qu’un nouveau-né sur vingt-cinq est porteur du trait drépanocytaire. Pourtant, le pays ne consacre que 5,2 % de son budget national à la santé, un ratio inférieur aux engagements d’Abuja. L’ouverture de l’unité de dialyse, si louable soit-elle, ne peut masquer le besoin d’un véritable programme national de dépistage néonatal, de transfusion sécurisée et de formation des soignants.
Technicité de la dialyse et perspective de transplantation
Le professeur Alexis Elira Dokékias, directeur du centre, rappelle que l’hémodialyse demeure une solution transitoire : elle permet d’extraire les toxines d’un sang que les reins défaillants ne filtrent plus, mais ne saurait se substituer indéfiniment à la transplantation d’organe. D’où son projet, encore à l’étape conceptuelle, d’ériger une unité stérile dédiée à la greffe de moelle osseuse, préalable à la greffe rénale pour les patients drépanocytaires. Au plan éthique, l’initiative invite le Congo à se doter d’un cadre de bio-législation conforme aux recommandations de l’Union africaine sur la transplantation, tandis que la gestion du registre des donneurs suppose un dialogue multisectoriel incluant la société civile et les confessions religieuses.
Partenariat public-privé : un modèle à consolider
En remettant symboliquement les clés au ministre de la Santé, la Fondation Congo Assistance entérine un schéma de gouvernance hybride dans lequel l’État assure l’exploitation tandis que la société privée Pharma for All garantit la maintenance des équipements. Ce mode opératoire, fréquent dans les projets d’infrastructures routières, reste rare dans le champ hospitalier congolais. Il pourrait pourtant inspirer la mutualisation des coûts sur d’autres segments, à condition que les contrats de service se conforment aux standards de transparence prônés par la Banque africaine de développement et que les médecins bénéficient d’un suivi régulier de formation technique.
L’après-inauguration, entre espoirs et incertitudes
La toute première séance de dialyse effectuée quelques heures après l’ouverture a rassuré les soignants sur la fonctionnalité de l’installation. Reste que la gratuité annoncée pour les drépanocytaires n’est pas encore couverte par un mécanisme de financement pérenne ; or le coût mensuel d’une hémodialyse se situe entre 250 et 300 dollars, hors consommables spécifiques. De même, la disponibilité irrégulière des kits d’érythrophérèse et l’intermittence de l’électricité, identifiées par Médecins sans frontières comme deux talons d’Achille du plateau technique congolais, pourraient grever la continuité des soins. La diplomatie sanitaire régionale, en plein essor depuis la pandémie de Covid-19, offre toutefois un cadre de coopération utile : l’Organisation de la Santé pour l’Afrique centrale examine actuellement un plan d’interconnexion des chaînes d’approvisionnement critiques, auquel Brazzaville pourrait adhérer pour sécuriser ses stocks.
Vers une stratégie nationale intégrée
Au-delà de la satisfaction légitime liée à l’inauguration, le Congo est désormais placé devant l’exigence de transformer l’essai. L’unité de dialyse peut devenir l’embryon d’un pôle d’excellence si elle s’accompagne d’un registre national de la drépanocytose, d’investissements dans la recherche pharmaco-génomique et d’une couverture sanitaire universelle étendue, conformément au Programme de développement durable à l’horizon 2030. En cela, l’événement du 19 juin constitue moins une fin qu’un commencement. Son succès, ou son échec, éclairera la capacité de l’État congolais et de ses partenaires à faire de la philanthropie ponctuelle un levier de politique publique durable au service d’une population trop longtemps privée de soins de pointe.