Une opération sécuritaire inédite à Brazzaville
Depuis la fin septembre, la Direction générale de la sécurité présidentielle et la Garde républicaine conduisent à Brazzaville une opération musclée destinée à neutraliser les « bébés noirs » et autres kulunas, jeunes bandes armées responsables d’agressions violentes qui minent la capitale congolaise.
Cette intervention, présentée par les autorités comme une réponse d’urgence à l’insécurité, bénéficie d’un soutien marqué d’une partie de la population lasse des vols à main armée, des attaques à la machette et de l’impunité qui semblait s’installer dans certains quartiers périphériques.
Le ministre en charge de la sécurité publique a réaffirmé que l’action vise « à restaurer la quiétude des citoyens tout en respectant la loi », soulignant la nécessité de protéger les familles, les commerçants et les élèves régulièrement ciblés lors de sorties scolaires.
Le traumatisme laissé par les bébés noirs
Pendant plus d’une décennie, les bébés noirs se sont organisés en microcellules capables de frapper en plein jour, armés de machettes, de barres de fer et parfois d’armes à feu artisanales. Leur modus operandi a instauré une atmosphère de peur durable dans l’agglomération.
Des récits circulent encore sur des bus braqués à l’heure de pointe, des vendeuses dépouillées ou des riverains blessés pour un téléphone. Les statistiques de la police montrent une hausse régulière des homicides urbains au cours des trois dernières années, concentrés dans cinq arrondissements.
Dans ce contexte, la perspective de patrouilles renforcées et d’arrestations rapides a été accueillie avec soulagement dans plusieurs quartiers populaires, où les habitants expliquent qu’ils n’avaient plus osé sortir après le coucher du soleil de peur d’une attaque soudaine.
Droits humains : la vigilance de la société civile
Le 1er octobre, l’Observatoire congolais des droits de l’homme a publié une note rappelant que la lutte contre la criminalité ne doit pas conduire à des exécutions sommaires ni à des détentions arbitraires. L’organisation cite la Constitution et les conventions ratifiées par le Congo-Brazzaville.
Son secrétaire exécutif, Trésor Nzila, estime que « la sécurité et le respect de la dignité humaine doivent aller de pair ». Il appelle les forces engagées à privilégier l’arrestation, l’identification et la remise à la justice, afin d’éviter les erreurs irréparables.
Les défenseurs des droits humains redoutent également que l’opération ne soit détournée pour régler des différends privés. Dans certaines zones, des dénonciations anonymes circulent déjà, alimentant le risque de bavure si la vérification des informations n’est pas systématique et contrôlée par la hiérarchie.
Vers une réponse sécuritaire respectueuse de la loi
Interrogé par notre rédaction, un officier de la Garde républicaine assure que des briefings quotidiens rappellent aux troupes l’interdiction d’user de la force létale hors cas d’extrême nécessité. Il insiste sur « la préparation psychologique et juridique » avant chaque déploiement.
De son côté, le parquet de Brazzaville indique avoir mis en place un dispositif d’audiences foraines pour traiter rapidement les dossiers transmis par les unités d’intervention. Les procureurs affirment vouloir combiner célérité et garanties pour les prévenus, avec l’assistance systématique d’un avocat.
Un magistrat contacté rappelle qu’en 2015, une opération similaire avait donné lieu à des poursuites contre certains agents pour usage excessif de la force. Cette jurisprudence, dit-il, « crée un précédent utile » et incite aujourd’hui chaque commandant à consigner ses ordres par écrit.
Entre adhésion populaire et attentes de résultats
Dans le marché Total, au sud de la ville, les commerçantes saluent l’arrivée des patrouilles motorisées. « Les clients reviennent après 18 heures », témoigne Sylvie, vendeuse de tissus. Elle espère toutefois que les jeunes arrêtés auront « la chance de prouver leur innocence ».
Les leaders communautaires, réunis cette semaine à la mairie centrale, ont adopté une déclaration commune soutenant l’opération tout en recommandant des campagnes de sensibilisation pour éviter la stigmatisation des adolescents des quartiers défavorisés. Ils demandent aussi un mécanisme d’indemnisation pour les victimes d’éventuelles fautes disciplinaires.
Sur les réseaux sociaux, les échanges oscillent entre vidéos d’interpellations spectaculaires et appels au calme diffusés par des influenceurs. Les publications officielles de la police, pour leur part, détaillent les objets saisis : couteaux, armes blanches, doses de stupéfiants, et parfois des téléphones volés.
Plusieurs observateurs estiment que la réussite sera jugée sur la capacité des institutions à conjuguer réduction durable des cambriolages et respect des règles de procédure. Un équilibre délicat, mais essentiel pour préserver la confiance entre population, forces de sécurité et autorités judiciaires.
À moyen terme, le gouvernement mise aussi sur des programmes de formation professionnelle et de réinsertion, déjà annoncés par le ministère de la Jeunesse, pour détourner les anciens kulunas de la récidive. Car, rappelle un sociologue, « la sécurité passe autant par la prévention que par la répression ».
Un suivi parlementaire annoncé
Les parlementaires suivront les opérations à travers une commission spéciale d’évaluation annoncée à l’Assemblée nationale. Son rapport, attendu d’ici la fin de l’année, devrait formuler des pistes de réforme du code de procédure pénale et des politiques publiques de prévention de la délinquance.