Une capitale sous pression démographique et spatiale
Brazzaville, métropole en pleine croissance, voit sa population dépasser les deux millions d’habitants, concentrant en quelques arrondissements les défis classiques d’une urbanisation accélérée, des embouteillages chroniques aux nuisances environnementales. Les espaces publics, souvent occupés par des garages improvisés, des étals informels ou des carcasses automobiles, peinent à répondre aux exigences de mobilité et de salubrité qu’appellent les normes contemporaines de gouvernance urbaine. Dans ce contexte, l’État congolais, soucieux d’anticiper les goulots d’étranglement, a franchi un pas supplémentaire avec l’« opération spéciale de déguerpissement et d’assainissement », confiée au ministère de l’Assainissement urbain, du Développement local et de l’Entretien routier.
Cadre réglementaire et logistique de l’opération spéciale
Signée le 2 juillet, la circulaire ministérielle fixe un rythme mensuel : chaque premier samedi, les agents municipaux, épaulés par la force publique si nécessaire, procèdent à la libération des trottoirs, places et carrefours. Le texte rappelle l’article 78 du Code de l’Urbanisme, lequel confère à la puissance publique le droit de rétablir la libre circulation et de protéger la santé collective. Depuis le week-end dernier, des équipes mixtes ont sillonné les neuf arrondissements, matérialisant les périmètres d’intervention, répertoriant les véhicules abandonnés et notifiant les occupants irréguliers. Des camions bennes et des tractopelles, mobilisés grâce à un partenariat public-privé, ont permis de dégager près de cent cinquante tonnes de déchets en quarante-huit heures, selon le rapport préliminaire du ministère.
Juste Desiré Mondelé, figure de la pédagogie de terrain
Casque de chantier sur la tête et mégaphone en main, le ministre a parcouru Talangaï, Poto-Poto puis Bacongo, dialoguant avec les habitants, prônant « la coproduction de la ville propre ». Il a rappelé, sur un ton conciliant, que « l’objectif n’est pas la sanction, mais la responsabilisation », invitant notamment les propriétaires de taxis à stationner dans des parkings privés ou des parcelles familiales plutôt que de transformer les artères en garages à ciel ouvert. Cette démarche participative s’inscrit dans la culture politique congolaise d’inclusion et de proximité, chère au président Denis Sassou Nguesso, qui fait de la cohésion sociale un levier de son action publique.
Fluidité urbaine et retombées économiques attendues
Au-delà de l’esthétique, les experts en aménagement estiment que le coût des embouteillages avoisine un point de produit intérieur brut pour la capitale. Réduire l’occupation illicite de la voirie pourrait, d’après l’économiste Urbain Mavoungou, « faire gagner quotidiennement plusieurs milliers d’heures-travail à l’écosystème productif brazzavillois ». Les transporteurs saluent déjà un gain de temps moyen de quindrze minutes sur les axes Corniche et Mikalou, tandis que les commerçants évoquent une amélioration de la desserte des marchés. L’opération participe ainsi de la diversification de l’économie urbaine voulue par le Plan national de développement 2022-2026.
Dimension environnementale et sanitaire renforcée
Sur le plan de la santé publique, le service d’hygiène de la mairie de Brazzaville rappelle que les amas de déchets organiques constituent des gîtes larvaires pour les moustiques vecteurs du paludisme et des fièvres virales. La libération des caniveaux permet également une meilleure évacuation des eaux de pluie, limitant les risques d’inondation observés lors des saisons humides. De plus, la filière de valorisation des métaux récupérés auprès des véhicules hors d’usage ouvre des débouchés pour la petite métallurgie locale tout en réduisant l’empreinte carbone, conformément aux engagements pris lors de la COP27.
Réactions des riverains et rôle de la société civile
Dans les quartiers périphériques, certains habitants redoutaient une simple opération de communication. Mais les premiers retours témoignent plutôt d’un soutien prudent : le collectif des femmes maraîchères de Ouenzé, par la voix de Philomène Okouba, affirme que « la circulation est plus fluide et les clients viennent jusqu’à nous sans contourner des obstacles ». Des ONG, telles que Brazza Clean City, ont accompagné la démarche par des ateliers de tri sélectif et des séances d’éducation environnementale auprès des scolaires, illustrant le rôle catalyseur de la société civile.
Vers une intégration durable dans les politiques publiques
Le ministère envisage déjà d’adosser l’opération à un observatoire des indicateurs de propreté, fondé sur la télédétection et la participation citoyenne. Un projet d’arrêté interministériel, à l’étude, devrait institutionnaliser la récurrence de la journée mensuelle de salubrité, tout en articulant le dispositif avec les programmes de plantations d’arbres et de rénovation des voiries secondaires. La Banque mondiale, dans son rapport 2024 sur les villes résilientes, souligne que la pérennité de telles initiatives dépend de la capacité à combiner coercition mesurée, incitations fiscales et sensibilisation continue. La trajectoire empruntée par Brazzaville semble s’inscrire dans ce triptyque, nourrissant l’ambition d’une capitale propre, attractive et compétitive dans la sous-région.