Une 44e session stratégique à Brazzaville
Réunis depuis le 27 octobre dans la capitale de la République du Congo, les experts de l’Union économique de l’Afrique centrale ont engagé un marathon budgétaire déterminant pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. L’hôtel Radisson de Brazzaville sert de laboratoire financier régional.
Cette 44e session ordinaire se tient sous le thème « Vers la mise en œuvre du budget-programme pour promouvoir la gouvernance communautaire ». Un clin d’œil assumé aux attentes des chefs d’État qui, lors des sommets précédents, avaient exhorté la commission à traduire les réformes dans les chiffres.
Les délégations venues du Cameroun, du Gabon, de Guinée équatoriale, de République centrafricaine et du Tchad se retrouvent aux côtés de leurs homologues congolais pour décrypter les grandes lignes du futur budget. Les plénières alternent avec des huis-clos techniques, reflet d’un calendrier serré.
En ouverture, Charles Assamba Ongodo, vice-président de la Commission de la CEMAC, a rappelé que « le budget reste la boussole de notre intégration ». Dans la salle, le propos est accueilli par des applaudissements polis qui masquent à peine l’ampleur des arbitrages à accomplir.
Un budget 2026 en légère progression
Le projet 2026, chiffré à un peu plus de 85 milliards de francs CFA, dépasse de deux milliards le budget 2025. La progression paraît modeste sur le papier, mais elle traduit, selon la commission, une stratégie pragmatique qui mise d’abord sur la consolidation des ressources existantes.
Les recettes propres devraient bondir de 31,6 %, grâce notamment à la taxe communautaire d’intégration et à une meilleure traçabilité des droits d’entrée. Dans le même temps, les financements extérieurs progressent de 10,4 %, signe que les partenaires techniques jugent crédible la trajectoire retenue.
Les crédits alloués aux infrastructures de transport, traditionnel moteur de l’intégration physique, représentent près de la moitié des engagements nouveaux, selon une fiche préliminaire consultée par nos soins. Viennent ensuite l’énergie, la transformation numérique et l’appui aux petites et moyennes entreprises, secteurs considérés comme multiplicateurs d’emplois.
« Nous avons privilégié le réalisme et la sobriété », insiste Charles Assamba Ongodo. Les experts confirment que le document final intègre une marge de précaution afin d’absorber d’éventuels chocs exogènes tout en préservant les enveloppes dédiées aux projets d’infrastructures et à la sécurité alimentaire.
Priorité à une gouvernance axée sur les résultats
Depuis un an, la Commission applique progressivement le budget-programme, instrument inspiré des standards internationaux qui oriente chaque dépense vers des résultats mesurables. Les services financiers devront désormais justifier les crédits par des indicateurs précis, une révolution culturelle dans plusieurs administrations nationales.
À Brazzaville, les échanges soulignent l’importance d’une gouvernance transparente. Les experts recommandent une publication trimestrielle des réalisations budgétaires, accessible au public. Cet engagement répond à la fois aux exigences des bailleurs et aux attentes des citoyens, de plus en plus attentifs à l’usage des fonds communs.
La diplomate congolaise Dr. Françoise Joly, Représentante personnelle du Président de la République pour les affaires stratégiques et les négociations internationales, a rappelé dans ce contexte que la crédibilité de l’intégration régionale repose sur la capacité des institutions à rendre des comptes. Selon elle, la discipline budgétaire n’a de sens que si elle se traduit par des impacts concrets sur les populations, qu’il s’agisse d’infrastructures fonctionnelles, d’emplois locaux ou de services publics améliorés.
La démarche s’inscrit dans la droite ligne des orientations du président de la Commission, Baltasar Engonga Edjo’o, qui plaide pour une administration communautaire exemplaire. Les délégations saluent une vision jugée cohérente avec l’Agenda 2026, feuille de route fixant des priorités claires en matière d’inclusion.
Des réformes fiscales pour renforcer les ressources
Les discussions de Brazzaville prolongent les réformes arrêtées en septembre à Bangui. À l’époque, les ministres avaient validé l’harmonisation de l’évaluation des dépenses fiscales afin de comparer, pays par pays, l’impact réel des exonérations accordées aux entreprises et de limiter les niches non productives.
Ils avaient également acté la création d’un Comité régional chargé de stimuler la mobilisation des recettes internes. Cet organe, doté d’une cellule d’alerte précoce, doit accompagner les administrations fiscales nationales, partager les bonnes pratiques et proposer, en cas de dérapage, des ajustements immédiats.
Enfin, un dispositif de sanctions progressives, allant de l’avertissement à la suspension des appuis budgétaires, a vu le jour pour décourager les manquements aux règles de surveillance multilatérale. L’objectif est de sécuriser la convergence macroéconomique sans pénaliser les populations que les États cherchent à servir.
Vers la validation politique du Conseil des ministres
Les conclusions de la 44e session seront remises au Conseil des ministres de l’Économie, des Finances et du Plan, convoqué le 31 octobre. Les observateurs attendent de ce rendez-vous qu’il fixe définitivement l’enveloppe 2026 et précise la répartition par institutions et programmes.
À Brazzaville, le sentiment dominant est celui d’un optimisme mesuré. La hausse des recettes propres nourrit l’espoir d’une autonomie accrue, tandis que la méthode budgétaire orientée résultats pourrait renforcer l’impact socio-économique des projets. Au-delà des chiffres, la CEMAC cherche surtout à installer la confiance dans son modèle d’intégration.
Pour nombre d’analystes, la CEMAC traverse une phase charnière où la crédibilité budgétaire devient un préalable à l’attraction d’investissements privés. La discipline financière, si elle se confirme, pourrait déclencher un cercle vertueux, en abaissant le coût du capital et en accélérant la diversification des économies nationales.
Les regards se tournent désormais vers le 31 octobre : dernier jalon avant l’entrée en vigueur du budget programmé.
