Genève consacre la diplomatie digitale congolaise
Dans l’atmosphère feutrée de la salle des conférences de l’Union internationale des télécommunications, à Genève, le drapeau tricolore congolais flottait aux côtés de ceux des autres États francophones venus débattre d’intelligence artificielle et de gouvernance numérique. C’est dans ce cadre que le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique du Congo a dévoilé, devant ses pairs, la candidature de Luc Missidimbazi au secrétariat général de l’Union Africaine des Télécommunications pour le mandat 2026-2030. L’instant est tout sauf anodin : il traduit la volonté de Brazzaville de se positionner comme acteur incontournable dans l’architecture numérique du continent, au moment où l’Afrique cherche à conjuguer connectivité de masse et souveraineté technologique.
La prise de parole du candidat s’est inscrite dans une rhétorique volontariste. « Nous devons collectivement franchir un cap », a-t-il martelé, insistant sur la nécessité d’une voix africaine fédérée dans les enceintes multilatérales. Cette exhortation à l’unité intervient alors que la fragmentation réglementaire ralentit encore nombre de projets transfrontaliers, du roaming continental à l’harmonisation des cadres de cybersécurité.
Luc Missidimbazi, un profil hybride au service de la souveraineté numérique
Conseiller du Premier ministre pour les postes et communications électroniques, Luc Missidimbazi s’est forgé une réputation à la croisée du secteur privé et de la haute administration. Promoteur du Salon Osiane – principal rendez-vous technologique d’Afrique centrale – il a bâti des passerelles entre start-up locales, bailleurs internationaux et institutions régulatrices. Ses partisans soulignent sa capacité à traduire les impératifs politiques en feuilles de route opérationnelles, condition sine qua non pour un poste qui exige à la fois tact diplomatique et maîtrise technique.
Son passage par des cabinets de conseil basés à Paris et Johannesburg, puis son retour à Brazzaville pour accompagner la feuille de route « Congo Digital 2025 », lui ont conféré une connaissance fine des attentes des grands équipementiers comme des besoins très concrets des collectivités rurales encore privées de haut débit. Cet ancrage dans le réel, combiné à un réseau d’alliances forgé lors des précédentes sessions du Conseil d’administration de l’UAT à Dakar, nourrit les pronostics favorables à sa candidature.
Une candidature qui fait écho aux enjeux géopolitiques du cyberespace africain
Au-delà de la dimension personnelle, l’offensive congolaise s’inscrit dans une conjoncture où la connectivité universelle se heurte à la montée en puissance de fournisseurs extra-continentaux. Tandis que les géants américains et asiatiques déploient câbles sous-marins et constellations satellitaires, plusieurs capitales africaines redécouvrent les vertus d’une coordination régionale pour défendre leurs intérêts stratégiques, qu’il s’agisse de la localisation des données, de la fiscalité du numérique ou de la standardisation 5G.
La candidature congolaise veut répondre à cette équation par un triptyque : accélérer l’accès au haut débit, promouvoir la création de contenus endogènes et sécuriser le cyberespace. Sur ces trois volets, Brazzaville entend plaider pour un renforcement des centres d’échange internet régionaux, la mise en place d’un cadre commun de protection des données et la création d’un mécanisme d’alerte panafricain contre les cybermenaces. Les diplomates présents à Genève reconnaissent qu’un tel programme, s’il bénéficiait d’une masse critique d’États membres, offrirait à l’Afrique une posture de négociation moins défensive face aux blocs numériques déjà structurés.
Perspectives pour l’UAT et impact attendu sur la transformation continentale
L’élection du prochain secrétaire général de l’UAT ne se tiendra qu’en 2025, mais la campagne a déjà valeur de baromètre. Elle révèle quelles capitales entendent peser sur les standards techniques et les répartitions de bandes de fréquence déterminantes pour l’économie du futur. En sollicitant « le soutien politique, l’écoute stratégique et la confiance » de ses pairs, Luc Missidimbazi place la barre haut : faire de l’UAT non seulement un forum de coordination, mais aussi un catalyseur d’investissements, à l’image de ce que l’Union européenne a accompli avec ses programmes pour la 5G et, demain, pour le quantique.
À Brazzaville, l’enjeu dépasse le prestige. Dans un contexte où le gouvernement congolais engage des réformes budgétaires pour diversifier une économie encore tributaire des hydrocarbures, le numérique apparaît comme un relais de croissance et d’inclusion sociale. Les observateurs notent que la bataille pour la direction de l’UAT pourrait, à terme, se traduire par une meilleure mobilisation des financements multilatéraux en matière d’infrastructures et par un partage d’expertise entre régulateurs nationaux. Si l’unité africaine prônée trouve un écho concret, le continent pourrait réduire son retard de connectivité de près de 30 % d’ici à 2030, selon les projections de la Broadband Commission.
Dans l’intervalle, les capitales africaines sondent leurs convergences avant le scrutin. La candidature congolaise, active et assumée, aura au moins réinjecté dans le débat un sens de l’urgence et un discours résolument tourné vers la souveraineté collective. Reste à convertir cette dynamique discursive en coalition électorale et, à terme, en résultats tangibles pour les populations africaines avides d’une inclusion numérique durable.