Brazzaville au centre d’un conclave éducatif stratégique
Sous les lambris encore neufs du Centre international de conférences de Kintélé, le ballet discret des vestes sombres et des pagnes formels révèle l’importance accordée, par l’État congolais et ses partenaires, au troisième acte du programme « Appui à la professionnalisation des pratiques enseignantes et au renforcement de la qualité des apprentissages », plus simplement baptisé « Apprendre ». Le Congo, aux côtés de sept autres pays francophones d’Afrique subsaharienne, y voit un moment charnière : jeter les bases d’un capital humain enfin proportionné à ses ambitions de développement, dans un contexte démographique où la jeunesse représente plus de 60 % de la population (UNFPA, 2023).
Un déficit enseignant que l’arrière-pays paie au prix fort
La géographie congolais — de la plaine côtière aux plateaux Batéké en passant par l’enchevêtrement forestier du Nord — rend la couverture éducative nationale délicate. Faute de personnels titulaires, quelque 4 500 enseignants dits « communautaires » officient dans les zones rurales, souvent armés de leur seule bonne volonté. La Banque mondiale estime ainsi que 38 % des classes du primaire hors Brazzaville sont tenues par des maîtres sans formation pédagogique formelle. Ce chiffre illustre un héritage de sous-investissement public et la persistance d’un modèle où la communauté, et non l’État, assume la première ligne du service éducatif.
Des partenaires multilatéraux alignés sur l’agenda 2030
Initiée en 2019 par l’Agence française de développement, l’Organisation internationale de la Francophonie et le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, la plateforme « Apprendre » se réclame de l’Objectif de développement durable 4 consacrant une éducation inclusive et de qualité. À Brazzaville, les représentants de l’UNESCO rappellent que les États parties se sont engagés à renforcer la formation initiale et continue des enseignants, secteur qui absorbe aujourd’hui 16 % seulement du budget congolais dédié à l’éducation, contre la norme régionale de 20 % recommandée par l’Institut de statistique de l’UNESCO.
L’ingénierie de formation, talon d’Achille devenu priorité
Le cœur de la phase III repose sur la conception d’un tronc commun de compétences professionnelles s’adressant simultanément aux instituteurs communautaires, aux maîtres titulaires en poste et aux formateurs des Écoles normales d’instituteurs. Selon la directrice du Centre national de formation continue de l’enseignement primaire, « il ne s’agit pas seulement de délivrer un kit pédagogique mais de bâtir une identité professionnelle partagée ». Les modules portent autant sur la didactique des disciplines que sur la gestion d’une classe multigrade, tandis qu’un accent particulier est mis sur l’évaluation formative, absent traditionnellement des pratiques.
Technologies éducatives : l’allié discret de la ruralité
Pour contourner l’isolement des districts du Sangha ou du Niari, le programme mise sur des classes virtuelles synchrones via réseau 3G et sur des ressources audiovisuelles téléchargeables hors ligne, financées pour partie par la Banque africaine de développement. Cette stratégie hybride, déjà pilote au Sénégal et au Bénin, doit équiper 120 centres de ressources avant 2026. « La connectivité est un droit pédagogique », estime un expert de l’AFD, soulignant que l’apprentissage numérique permet à moindre coût de toucher un enseignant communautaire sur deux.
Le dividende démographique, horizon stratégique
Derrière la rhétorique technico-pédagogique affleure une logique de compétitivité. Le Fonds monétaire international projette que, si le Congo parvient à élever son taux d’achèvement du secondaire à 75 % d’ici 2035, le produit intérieur brut réel pourrait gagner 2,3 points de croissance annuelle. De quoi transformer en atout la poussée démographique actuelle. Il n’est donc pas anodin que le ministère du Plan participe aux travaux de Brazzaville : l’éducation sort du silo sectoriel pour devenir une variable macroéconomique et, partant, un sujet diplomatique.
Des résistances structurelles toujours vives
Le succès de la phase III ne se jouera pas seulement sur des curricula modernisés. Les syndicats rappellent que la rémunération des enseignants communautaires reste en deçà du salaire minimum interprofessionnel garanti, générant un turnover de 25 % dans certaines préfectures. Par ailleurs, la Cour des comptes congolaise souligne, dans son rapport 2022, une absorption budgétaire inférieure à 60 % des fonds extérieurs alloués au secteur, signal d’alerte sur la capacité d’exécution administrative. Autant de points noirs qui, s’ils ne sont pas résolus, pourraient diluer les efforts de professionnalisation.
Vers un pacte éducatif consolidé
Les conclusions provisoires du conclave devraient conduire, dès la rentrée 2024-2025, à la certification de 1 200 formateurs et à la mise en place d’un dispositif de mentorat pour 8 000 enseignants communautaires. Le ministre de l’Enseignement préscolaire et primaire a insisté sur « la nécessité d’un suivi indépendant » confié à l’École de gouvernance de Dakar, gage de transparence pour les bailleurs. En filigrane se dessine un nouveau contrat social entre l’État, les partenaires techniques et les communautés, contrat où la qualité de l’enseignement n’est plus perçue comme un coût mais comme un investissement souverain.