Une dédicace très suivie à Brazzaville
Mercredi 8 octobre 2025, la salle de l’Institut français du Congo affichait complet. Lecteurs, universitaires et curieux se pressaient pour assister au lancement de “Mains invisibles”, roman d’espionnage signé Willy Gom et paru aux Éditions Le Lys Bleu.
La cérémonie a réuni plusieurs responsables culturels, dont Alphonse Chardin Nkala, directeur général des arts et des lettres. À ses côtés figuraient le Pr Bellarmin Etienne Iloki et la conseillère Emeraude Kouka, témoignant du soutien institutionnel accordé au livre et plus largement à la création littéraire.
Un thriller projeté dans l’an 3005
Présentant l’auteur, le docteur-écrivain Winner Franck Palmers a rappelé que l’action se situe « dans les premières années de l’an 3000 ». Le récit, débutant en août 3005, inscrit résolument le lecteur dans une Afrique centrale futuriste où se télescopent héritages contemporains et défis à venir.
Le choix de villes comme Yaoundé, Bangui ou Libreville éclaire cette ambition géopolitique. Ces capitales deviennent des scènes d’enquête où se dessinent, selon Palmers, « les dérives systémiques du continent transposées dans un temps vertigineux ».
Décors symboliques et tension sociale
Feutrées ou grouillantes, les rues, les bureaux et les institutions décrits par Willy Gom portent la mémoire de crises héritées de notre époque. L’auteur s’appuie sur ces lieux pour interroger, dans le miroir du futur, les notions de justice, de dignité humaine et de mémoire collective.
Cette reconstitution post-contemporaine, ni totalement dystopique ni franchement utopique, sert un propos où le réalisme se mêle à la métaphore. La lecture gagne ainsi en épaisseur, dépassant le simple divertissement policier pour devenir espace de réflexion civique.
Un hold-up bancaire comme déclencheur
Le roman s’ouvre par la disparition de 31 millions d’euros des coffres de la Banque de la CEMAC au Cameroun. Cet assaut spectaculaire, organisé par des acteurs restés anonymes, incarne le gaspillage de richesses qualifié de « plaie régionale » par plusieurs intervenants de la soirée.
Un an après les faits, les instances sous-régionales sollicitent la Cellule espionnage et contre-espionnage. Leur objectif : démêler les ramifications financières et politiques d’un scandale qui menace la stabilité de toute l’Afrique centrale.
La Lionne entre en scène
Pour mener l’enquête, la Cellule mandate l’agent spéciale Willianne Ndona, surnommée “La Lionne”. Figure centrale du récit, elle incarne la persévérance et l’acuité nécessaires à la traque d’“invisibles” commanditaires. La chasse qu’elle engage déroule un suspense que certains décrivent déjà « cinématographique ».
Au fil des pages, Ndona affronte labyrinthes administratifs, témoins réticents et réseaux d’influence. Ses découvertes questionnent le rapport à l’action collective, à la responsabilité individuelle et à l’oubli opportun, nouant le roman autour de dilemmes éthiques actuels.
Un polar qui dérange et fascine
Devant le public, la présentatrice a insisté : « Mains invisibles n’est pas un simple récit d’espionnage ; il explore, interroge, dérange ». L’alternance d’action nerveuse et de passages méditatifs confère au texte une densité rare dans le polar africain contemporain.
Les séquences d’investigation, souvent décrites avec une précision quasi documentaire, répondent à des moments plus introspectifs sur le pouvoir, la peur ou la manipulation. L’équilibre obtenu alimente un rythme que les lecteurs de la soirée ont qualifié d’addictif.
Échos critiques des universitaires
Le Pr-écrivain Mukala Kadima Nzuji a salué une œuvre « implantée dans la réalité africaine tout en visant l’universel ». Pour lui, le hold-up initial symbolise les détournements que connaissent diverses sociétés, rappelant que la fiction peut parfois mieux dire le réel que l’essai.
Selon ce critique, Willy Gom « désigne chaque objet propre à l’Afrique sans exotisme ni concession ». La construction narrative, jugée agile, puise dans une culture partagée pour offrir au lecteur un miroir parfois inquiétant, mais toujours stimulant.
Le concept des “mains invisibles”
Interrogé sur le titre, l’auteur a expliqué qu’il se réfère « à ces forces anonymes, blanches ou noires, qui orientent des événements sans jamais se dévoiler ». Cette idée d’invisibilité, fil rouge du roman, densifie l’intrigue et soulève la question de l’opacité décisionnelle.
Willy Gom y voit également un motif identitaire : l’enquête, cœur battant du polar, permet de révéler ces mains cachées, tout en rappelant que la culture demeure « un met très important, elle enrichit les cerveaux ».
Une plume prolifique et plurielle
Spécialiste reconnu du genre, Willy Gom compte déjà quinze titres à son actif. Romancier, essayiste, dramaturge et nouvelliste, il revendique une pratique littéraire « pluri-générique » qui lui permet de changer de perspective à chaque publication.
Au terme de la séance de dédicaces, l’écrivain a confié travailler sur un recueil de poèmes. Cette incursion annoncée dans la versification témoigne d’une volonté d’explorer sans cesse de nouveaux territoires esthétiques.
Un rendez-vous littéraire fécond
La soirée brazzavilloise aura ainsi mis en lumière un roman où suspense et réflexion sociale avancent de pair. Les échanges nourris entre public, experts et autorités culturelles ont souligné la vitalité d’une scène littéraire congolaise dialoguant avec l’ensemble de l’Afrique centrale.
Dans une atmosphère conviviale, les lecteurs ont quitté l’Institut français du Congo avec, sous le bras, un livre promettant de longues nuits de lecture et, peut-être, autant de questions sur les mécanismes qui gouvernent nos sociétés visibles ou souterraines.