Un climat politique qui se crispe encore
À Brazzaville, l’atelier de renforcement des capacités organisé par l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) et l’ONG française Acted a réuni, fin juin, une trentaine de représentantes et représentants d’associations locales. La rencontre, financée par l’Union européenne, s’est déroulée dans un contexte d’érosion continue de l’espace civique : refus d’agréments, rejets systématiques de manifestations pacifiques, intimidations judiciaires. Dans son dernier rapport, la Commission africaine des droits de l’homme note « un usage disproportionné des procédures administratives pour restreindre la liberté d’association en République du Congo » (Commission africaine, 2023). Les défenseurs des droits humains redoutent que la normalisation de ces pratiques ne compromette durablement la participation citoyenne aux affaires publiques.
La coupure de l’aide américaine, un électrochoc budgétaire
La décision de Washington, en avril, de suspendre l’appui technique et financier à plusieurs organisations congolaises a fait l’effet d’un séisme. Selon l’USAID, la mesure découle d’« inquiétudes relatives à la gouvernance financière » au sein du partenaire gouvernemental (USAID, 2024). Or, pour nombre d’ONG, la contribution américaine couvrait jusqu’à 60 % des besoins opérationnels, notamment dans les programmes de prévention des violences basées sur le genre et de lutte contre la torture. La directrice exécutive de l’OCDH, Nina Cynthia Kiyindou Yombo, confie que « certaines structures ont vu leur budget trimestriel réduit à peau de chagrin alors que le terrain exige une présence accrue ». Les bailleurs européens tentent de combler le vide, mais leurs procédures d’allocation restent plus longues et techniquement exigeantes, ce qui fragilise la réactivité des initiatives locales.
Entre résilience et innovation organisationnelle
Privées de ressources financières et décrédibilisées dans le discours officiel, les organisations ont mis la question de la durabilité au cœur de l’atelier. Les sessions consacrées au plaidoyer, au réseautage et à la recherche de financements endogènes ont mis en avant des pistes d’autonomisation : diversification des sources, services de conseil pour le secteur privé, plateformes de micro-donateurs. « Nous devons passer d’une logique de dépendance à une logique de co-investissement citoyen », insiste un représentant du Réseau des associations pour la transparence électorale. Inspirées des expériences kenyanes et sénégalaises, plusieurs ONG congolaises envisagent de mutualiser leurs capacités administratives dans des hubs partagés afin de réduire les coûts de fonctionnement et d’accroître leur résilience.
Le paramètre sécuritaire, angle mort des autorités
Au-delà de la contrainte budgétaire, la sécurité des acteurs demeure une préoccupation centrale. Le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme à Brazzaville a recensé, sur les douze derniers mois, treize cas d’intimidations ou de détentions arbitraires visant des militants, dont certains liés à la surveillance numérique illicite (Nations unies, 2024). Les participants à l’atelier ont donc insisté sur la nécessité de mécanismes d’alerte rapide et de protection juridique. L’idée d’un fonds d’assistance judiciaire régional, géré par une coalition d’ONG d’Afrique centrale, a été avancée pour réduire la vulnérabilité des défenseurs isolés.
La diplomatie des bailleurs, facteur de recomposition
La suspension américaine reconfigure la cartographie des partenaires extérieurs. Bruxelles, Paris et Berlin multiplient les signaux d’engagement, mais avec une conditionnalité plus stricte en matière de redevabilité interne. Cette évolution tranche avec l’approche jusqu’ici prépondérante d’un soutien bilatéral assez souple. Un diplomate européen, sollicité anonymement, confie que « l’objectif est de consolider les acteurs capables de porter un plaidoyer chiffré et méthodologiquement rigoureux ». En creux, les ONG dont la gouvernance sera jugée fragile risquent l’exclusion des nouveaux programmes. Ce tournant pousse la société civile congolaise à améliorer la qualité de ses reporting et à renforcer les audits internes.
Les femmes, cheville ouvrière d’une nouvelle dynamique
L’atelier a consacré une session entière au leadership féminin, question longtemps marginalisée au Congo. Les données compilées par la Banque mondiale montrent que seules 18 % des organisations légalement reconnues sont dirigées par des femmes. Pourtant, sur le terrain, ce sont majoritairement elles qui gèrent les projets de cohésion communautaire dans la Likouala ou la réinsertion des déplacés du Pool. En soulignant cette réalité, les participantes ont rappelé que la visibilité du leadership féminin constitue un indicateur de crédibilité auprès des bailleurs. La multiplication de formations ciblées, financées par l’Union européenne, devrait accélérer cette féminisation des instances de décision associatives.
Quel horizon pour l’espace civique congolais ?
À l’issue des échanges, plusieurs scénarios se dessinent. Le premier parie sur une décrispation progressive, portée par la diplomatie des partenaires internationaux et les impératifs économiques du gouvernement, qui recherche une image plus favorable pour attirer des investisseurs. Le second, plus pessimiste, anticipe la persistance d’un environnement contraint, où seules les structures dotées de solides alliances étrangères et d’une assise communautaire pourront subsister. Dans les deux cas, la professionnalisation des ONG et leur ancrage local apparaissent comme les clés d’une influence durable. Tandis que Brazzaville multiplie les signaux de fermeté, la société civile entend démontrer qu’elle demeure, malgré tout, un interlocuteur incontournable dans la construction d’un État plus responsable.