De la crue du Congo aux quartiers submergés
Les pluies diluviennes qui se sont abattues sur Brazzaville à la mi-juin ont transformé en l’espace de quelques heures les artères des arrondissements de Talangaï et de Mfilou en canaux improvisés. Si le fleuve Congo lui-même n’a pas atteint le niveau record observé en 2020, la saturation des exutoires urbains a suffi à inonder quelque 5 000 ménages selon le comité de crise gouvernemental. Dans les ruelles sablonneuses de la rive droite, la montée des eaux, parfois supérieure à un mètre, a emporté des toitures en tôle, contaminé les puits domestiques et contraint des centaines de familles à passer la nuit sur les hauteurs de Mpila.
Ces précipitations, bien que saisonnières, semblent s’intensifier. Les données pluviométriques agrégées par la Direction de la météorologie nationale montrent une hausse de 14 % des cumuls annuels sur la décennie écoulée, tendance que l’Organisation météorologique mondiale attribue à la variabilité climatique régionale accrue. « Nous observons une tropicalisation du régime des pluies, plus brèves et plus violentes », résume un hydrologue de l’Université Marien-Ngouabi. La topographie peu drainante, l’urbanisation rapide et l’absence chronique de cartographie des zones inondables exacerbent le phénomène.
La réponse immédiate des autorités congolaises
Dès le 19 juin, le ministère des Affaires sociales a activé le Plan national d’aide d’urgence, mobilisant la protection civile, la gendarmerie et un contingent de la Croix-Rouge congolaise. Des vivres – riz, manioc, fèves – ont été distribués, tandis que des centres d’accueil temporaires étaient ouverts dans les écoles primaires Jean-Félix-Tchicaya et Ngamaba. La ministre Irène Marie-Cécile Mboukou-Kimbatsa revendique « une assistance de première ligne déployée en moins de 48 heures » (Ministère des Affaires sociales du Congo, communiqué du 25 juin 2024). Pourtant, le déficit budgétaire chronique limite l’ampleur des convoyages ; moins de 40 % des 2 milliards de francs CFA prévus pour l’exercice 2024 dans le Fonds de solidarité ont été effectivement décaissés au premier semestre.
Les mécanismes onusiens de l’assistance alimentaire
C’est dans ce contexte que le représentant du Programme alimentaire mondial, Gon Meyers, a été reçu le 24 juin à Brazzaville. Entouré de délégués du Haut-Commissariat pour les réfugiés, il a proposé une évaluation multisectorielle conjointe « pour arrimer l’aide aux besoins réels des ménages et éviter les doublons ». Selon une note de situation interne (Programme alimentaire mondial, 26 juin 2024), l’agence prévoit des rations familiales pour 15 jours, combinant céréales, légumineuses et suppléments nutritifs pour enfants. Dans le même esprit, l’UNICEF envisage la distribution de kits WASH afin de contrer le risque de choléra, identifié après les inondations de 2020.
Reloger sans reconstruire ?
Le volet le plus délicat demeure celui du relogement. Les concessions illégalement bâties sur les remblais de Talangaï échappent aux plans cadastraux officiels, compliquant toute indemnisation. Le ministère de l’Aménagement du territoire estime à 1 200 les habitations devant être déconstruites pour ramener le lit mineur des rivières urbaines à sa largeur initiale. « La vulnérabilité de Talangaï constitue une priorité absolue », concède un cadre de la Mairie de Brazzaville, « mais nous ne pouvons repousser indéfiniment les populations vers la périphérie sans offre de transport viable ».
Le gouvernement plaide pour la réactivation du Programme de logements sociaux de Kintélé, gelé depuis 2022 faute de liquidités. La Banque mondiale, partenaire historique, conditionne tout décaissement supplémentaire à l’adoption d’un schéma directeur d’urbanisme intégrant la gestion des risques hydrométéorologiques (Banque mondiale, rapport de supervision 2023).
Financements, climat et diplomatie de la catastrophe
Au-delà de l’urgence, la catastrophe brazzavilloise est devenue un enjeu de diplomatie climatique. Brazzaville s’apprête à présider, en octobre prochain, la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC). La visibilité conférée par ce rôle pourrait faciliter la mobilisation de fonds verts, mais impose en retour une exemplarité dans la gestion de ses propres risques. Le ministère des Finances négocie déjà, avec l’appui de la Banque africaine de développement, un mécanisme paramétrique d’assurance contre les catastrophes naturelles, inspiré du modèle CCRIF utilisé dans les Caraïbes.
Pour l’heure, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA, rapport humanitaire 2023) évalue à 6,5 millions de dollars le coût des besoins immédiats, couverts à seulement 27 % par les contributions annoncées lors de la réunion de coordination du 28 juin. La France, l’Union européenne et la Chine ont manifesté un intérêt, mais attendent les résultats de la mission conjointe ONU-gouvernement pour préciser leurs engagements. Cette attente illustre la transformation progressive des secours en un théâtre de concurrence géopolitique, chaque donateur cherchant à calibrer sa présence dans une capitale stratégique du bassin du Congo.
Entre urgences et prévention : quel cap géopolitique ?
Le degré de coordination qui se dessinera dans les semaines à venir déterminera la crédibilité de Brazzaville tant sur le plan interne qu’auprès de ses partenaires multilatéraux. À court terme, la distribution alimentaire du PAM et la dotation de bâches destinées aux sans-abri devraient soulager la pression sociale. Mais l’opinion publique reste sensible aux promesses non tenues, à l’image du plan de consolidation des berges, lancé en 2018 puis abandonné faute de suivi administratif.
L’épisode offre néanmoins l’opportunité de replacer la capitale congolaise au cœur des discussions internationales sur l’adaptation en zone équatoriale. Si l’État parvient à arrimer son plan urbain aux exigences de résilience, il pourra convertir la diplomatie de la catastrophe en diplomatie de l’anticipation, transformant l’écueil d’une inondation en levier d’influence régionale.