Un tournant pour la meunerie régionale
Le 6 août 2025 restera une date stratégique pour l’industrie céréalière d’Afrique centrale. Cadyst, piloté par l’entrepreneur camerounais Célestin Tawamba, a officiellement intégré la Société Le Grand Moulin du Cameroun et la Société Le Grand Moulin du Phare, jusqu’ici dans le giron de Somdia.
Avec sept sites industriels désormais répartis entre Douala et Pointe-Noire, le groupe contrôle près de 40 % des farines panifiables camerounaises et fait son entrée sur le marché congolais. Cette bascule modifie l’équilibre concurrentiel, tout en renforçant une filière jugée vitale pour la sécurité alimentaire.
Une opération validée par la Cemac
La transaction, dont le montant reste confidentiel, a mobilisé un pool bancaire conduit par Afriland First Bank. L’approbation conjointe des régulateurs des six pays de la Cemac atteste de la solidité financière du montage et de sa compatibilité avec les règles de concurrence sous-régionales.
Un cadre du ministère congolais du Commerce note que « l’arrivée d’un acteur capitalisé offre de nouvelles garanties sur la continuité des approvisionnements en farine et sur la préservation des emplois locaux ». Aucun syndicat n’a jusqu’ici exprimé d’inquiétude publique.
Nouvelle gouvernance et vision partagée
Célestin Tawamba présidera les conseils d’administration des deux sociétés, assisté d’Elizabeth Gouater, directrice générale de Cadyst Group. Selon un document interne consulté par nos soins, la priorité portera sur la modernisation des chaînes de broyage et l’harmonisation des normes qualité entre les deux pays.
Les anciens cadres de Somdia ont été maintenus à des postes clés afin d’assurer une transition sans heurts. Une cellule binationalité, composée d’ingénieurs camerounais et congolais, doit piloter l’intégration technique des systèmes de production.
Synergies industrielles attendues
La mutualisation des achats de blé, essentiellement importé de la Mer Noire et d’Argentine, représente l’un des premiers leviers identifiés. En combinant les volumes, Cadyst espère réduire jusqu’à 8 % ses coûts logistiques, selon une note adressée aux actionnaires.
Dans les ateliers, les équipes tablent sur de modestes gains de productivité – estimés à 3 % la première année – grâce à l’échange de savoir-faire. Les farines produites au Congo devraient bénéficier des protocoles de contrôle qualité déjà éprouvés à Douala.
Cap sur la souveraineté alimentaire
Le gouvernement de Brazzaville a fait de la réduction de la dépendance aux importations de denrées de base une priorité du Plan national de développement. Dans ce contexte, l’implantation d’un groupe régionalement fort est perçue comme une avancée vers une offre régulière et abordable de farine.
Un économiste de l’Université Marien-Ngouabi souligne que « la stabilité des prix du pain, denrée sociale par excellence, dépendra de la capacité de l’industriel à absorber les fluctuations du marché mondial du blé ». Cadyst dit travailler à des contrats à terme pour sécuriser ses coûts.
Diversification de la chaîne de valeur
Au-delà de la meunerie, Cadyst lorgne la provenderie, l’alimentation animale et l’aviculture. L’idée consiste à transformer localement les sous-produits du blé, comme le son, en intrants pour l’élevage. Cette intégration verticale pourrait soutenir les éleveurs congolais, encore dépendants des importations de tourteaux.
Une unité pilote de fabrication de concentrés protéiques est à l’étude dans la zone industrielle de Maloukou-Tréchot, à proximité de Brazzaville. Le projet, estimé à 4 milliards de francs CFA, pourrait bénéficier d’un dispositif incitatif de l’Agence congolaise pour la promotion des investissements.
Impact social et emploi
Les deux moulins rachetés emploient 420 salariés permanents, auxquels s’ajoutent près de 200 journaliers lors des pics de demande. Cadyst s’est engagé, dans la convention signée avec les autorités, à préserver l’intégralité de ces postes et à lancer un programme de formation continue.
Au Cameroun, la filière meunerie est réputée pour ses passerelles avec la boulangerie artisanale. Le gouvernement congolais espère que l’opération générera un effet similaire, en stimulant les métiers de boulangers et de pâtissiers, secteurs à fort potentiel d’auto-emploi pour la jeunesse.
Positionnement stratégique dans la Zlecaf
La Zone de libre-échange continentale africaine ouvre la perspective d’un marché de 1,3 milliard de consommateurs. Cadyst anticipe d’exporter ses farines spécialisées vers la République centrafricaine et le Gabon, profitant de l’exonération progressive des droits de douane intra-africains.
Pour y parvenir, le groupe doit cependant relever le défi logistique. Les corridors routiers Douala-Bangui et Pointe-Noire-Libreville nécessitent encore des travaux d’entretien. Des discussions sont engagées avec les autorités portuaires pour des tarifs préférentiels sur le fret conditionné en sacs de 50 kg.
Le rôle clé de la finance locale
Le financement, coordonné par Afriland First Bank, illustre la capacité des banques régionales à soutenir de grands projets industriels. D’autres établissements de la place de Brazzaville, dont la BGFI Bank Congo, ont exprimé leur volonté de participer aux prochains tours de table.
Cette mobilisation traduit une confiance renouvelée dans l’industrie de transformation, secteur souvent perçu comme risqué. Pour le directeur des risques d’une banque congolaise, « l’intégration régionale réduit la volatilité des revenus et rassure les prêteurs ».
Perspectives macroéconomiques
Selon le secrétariat permanent de la Cemac, la demande en farine dans la sous-région croît de 4 % par an, tirée par l’urbanisation et la hausse du pouvoir d’achat. En captant une part accrue de cette croissance, Cadyst pourrait générer un chiffre d’affaires additionnel de 60 milliards CFA d’ici trois ans.
Les analystes soulignent cependant la sensibilité de la filière aux cours internationaux du blé et aux perturbations logistiques, comme celles observées en mer Noire. La stratégie d’achat groupé et la diversification géographique sont donc jugées essentielles.
Réactions des acteurs congolais
À Brazzaville, l’Association des boulangers se félicite d’un « partenaire capable de garantir la constance des livraisons ». Même optimisme du côté de la Chambre de commerce, qui voit dans l’arrivée de Cadyst une occasion de dynamiser l’écosystème agroalimentaire local.
Des représentants des consommateurs souhaitent néanmoins que la baisse potentielle des coûts se traduise rapidement par des prix plus stables sur les baguettes. Cadyst affirme que ses premières productions congolaises sortiront des lignes du Grand Moulin du Phare avant la fin de l’année.
Engagements environnementaux
Cadyst promet l’installation de filtres à manches de nouvelle génération pour réduire les émissions de poussière, ainsi que la récupération des eaux de lavage. Une politique de compensation carbone, reposant sur des plantations d’acacias autour des sites, est également annoncée.
Le ministère congolais de l’Environnement suivra ces engagements à travers un comité conjoint. L’objectif est d’aligner la production sur les standards posés par la Stratégie nationale de développement durable, tout en maintenant la compétitivité des unités.
Innovation et digitalisation
Le groupe mise sur la digitalisation pour optimiser ses flux. Des capteurs IoT suivront en temps réel les stocks de blé et de farine, permettant d’ajuster les approvisionnements portuaires. Un portail clients offrira aux boulangers la possibilité de passer commande et de suivre les livraisons sur smartphone.
Cette modernisation pourrait servir de vitrine aux autres industries agroalimentaires de la sous-région, montrant que la technologie peut réduire les coûts tout en améliorant la transparence.
Un pari industriel assumé
En rachetant les actifs de Somdia, Cadyst prend position au cœur d’une chaîne de valeur indispensable aux ménages. L’industriel camerounais affirme vouloir « produire localement, pour nourrir localement », une ambition en phase avec les politiques nationales de développement.
Le succès du pari dépendra toutefois de l’exécution : moderniser les équipements, sécuriser le blé et maintenir des prix accessibles. Autant de défis que le nouveau champion sous-régional se dit prêt à relever, sous l’œil attentif des marchés et des consommateurs.