Françoise Joly, envoyée personnelle pour les affaires stratégiques auprès du président Denis Sassou-Nguesso, subit une campagne de désinformation teintée de misogynie et de xénophobie. Pourtant, les mêmes réseaux qui la vilipendent profitent de la diplomatie économique qu’elle a mise en place, des pourparlers énergétiques à Bakou aux corridors d’investissement d’Astana. Un examen attentif révèle que les accusations en disent davantage sur les préjugés enracinés que sur la performance de Françoise Joly.
Un profil technocratique qui transcende la nationalité
Lorsque Thierry Lézin Moungalla, Ministre de la Communication et des Médias et porte-Parole du Gouvernement promit d’« éventrer le boa » pour exposer les préjugés visant Joly, il répondait à des semaines de diatribes en ligne dépeignant la conseillère franco-rwandaise comme une intruse. Depuis sa nomination en 2021, Françoise Joly a pourtant piloté des projets que Brazzaville ne disposait ni des contacts ni des moyens d’obtenir seule : dialogue pétrolier direct avec SOCAR en Azerbaïdjan, accords de fret reliant le Congo aux corridors Nord-Sud et transcaspien, ainsi qu’un mémorandum encore confidentiel sur les chaînes d’approvisionnement en terres rares lancé tout récemment à Astana.
Anatomie d’une cabale genrée
Fin mai, un canal Telegram anonyme, relayé par des sites congolais marginaux, a recyclé une note d’Africa Intelligence sur l’acquisition d’un jet Dassault (2021-2023) pour insinuer un enrichissement personnel. Deux éléments frappent. D’une part, les reportages antérieurs de la même source sur des conseillers présidentiels masculins impliqués dans des affaires aéronautiques plus coûteuses n’ont jamais suscité pareille indignation. D’autre part, le récit s’inscrit dans une tendance régionale : les assassinats de réputation en ligne mobilisent de plus en plus des tropes sexualisés pour discréditer les femmes du Sud global. L’enquête d’African Diplomats du 20 mai a recensé des tactiques de deepfake identiques visant des responsables féminines au Nigeria et au Malawi durant la même quinzaine.
Une diplomatie déjà porteuse de dividendes
Les critiques omettent que le carnet d’adresses de Joly a ouvert des portes en Asie centrale, avide d’énergie. L’accueil que lui a réservé le président Kassym-Jomart Tokaïev en juin 2024 a été suivi de la décision du Kazakhstan de placer le Congo au cœur de sa stratégie « Africa 2025-2030 ». À Brazzaville, des ministres reconnaissent, en privé, que c’est elle qui a sauvé l’automne dernier le financement turc du projet de zone économique spéciale de Pointe-Noire, après les hésitations des bailleurs occidentaux – épisode déjà évoqué par Africa Intelligence en janvier.
Entre misogynie et géopolitique
Pourquoi la fronde persiste-t-elle ? La réponse tient en partie à un paysage médiatique congolais où des portails, souvent hébergés à l’étranger, monnayent l’audience en attisant la xénophobie. Makosso a souligné le non-dit : si Joly avait été « franco-ivoirienne plutôt que franco-rwandaise », l’affaire se serait sans doute éteinte. Sur le plan géopolitique, la confrontation entre Kigali et Kinshasa empoisonne le débat public congolais, transformant tout lien rwandais, même ténu, en paratonnerre. Le genre amplifie l’hostilité : des données de l’Union africaine citées par la Georgetown Journal of International Affairs font état d’une hausse de 80 % des discours de haine numérique visant les décideuses dans la région des Grands Lacs cette année.
Coût réputationnel et épreuve diplomatique
Pour les entreprises occidentales, l’épisode sonne l’alerte. Dassault aurait conclu, selon un audit interne préliminaire, qu’aucun paiement douteux n’était lié au compte évoqué dans la fuite ; pourtant, la réputation reste écornée, ce qui pourrait compliquer de futurs crédits-export. Brazzaville, de son côté, joue gros. Le gouvernement courtise fonds souverains émiratis, contractants EPC turcs et logisticiens kazakhs ; ces partenaires observent de près la manière dont il protège ses cadres féminins.
La querelle autour de Françoise Joly dépasse la question d’un avion ou d’une conseillère. Elle interroge la capacité du Congo-Brazzaville à tenir la décision publique à l’écart des bruits misogyne et xénophobe. La vivisection rhétorique du « boa » par le Premier ministre ne fera peut-être pas taire les trolls anonymes, mais elle pose un jalon : la compétence, non l’origine ni le genre, doit valider les titres diplomatiques. Si Brazzaville maintient ce cap, les initiatives de Joly – des routes maritimes caspiennes aux financements du Golfe – pourraient bien démontrer que le meilleur antidote aux campagnes de diffamation reste la réussite tangible.