Le football, accélérateur d’enjeux sanitaires continentaux
L’annonce, depuis Brazzaville, d’un partenariat entre la Confédération africaine de football et le groupe Danone révèle l’ambition croissante d’articuler pratiques sportives et politiques de santé publique. En Afrique centrale comme dans le reste du continent, les indicateurs de malnutrition chronique demeurent préoccupants, avec plus de 60 millions d’enfants exposés à des carences protéino-énergétiques, tandis qu’une urbanisation rapide fait parallèlement émerger le surpoids et le diabète. Dans ce paysage contrasté, le sport roi offre une caisse de résonance inégalée : 400 millions de téléspectateurs attendus pour la seule phase finale de la CAN 2024 constituent un levier de sensibilisation que les autorités sanitaires, appuyées par l’Union africaine, cherchent à mobiliser depuis plusieurs années.
Genèse d’une alliance stratégique entre la CAF et Danone
La signature, saluée par le président de la CAF, Dr Patrice Motsepe, s’inscrit dans un mouvement plus vaste de diversification des partenariats commerciaux de l’instance. Après les accords technologiques conclus avec des opérateurs télécoms en 2022, la confédération s’ouvre désormais au secteur agro-alimentaire, jugeant « impossible de dissocier performance sportive et équilibre nutritionnel » (communiqué CAF, 17 juillet 2024). Pour Danone, cette incursion dans l’univers du football africain prolonge la stratégie One Planet. One Health, qui cherche à conjuguer rentabilité et impact sociétal. Le directeur général Antoine de Saint-Affrique a insisté sur la « complémentarité naturelle entre l’inclusivité du football et notre mission de santé par l’alimentation », soulignant que le continent constitue aujourd’hui le premier réservoir de croissance démographique de l’entreprise.
Une logistique au service de 10 000 volontaires et de l’héritage des compétitions
Concrètement, l’accord prévoit la fourniture quotidienne de produits laitiers fortifiés à plus de 10 000 bénévoles, 5 000 journalistes et plusieurs milliers de techniciens qui feront vivre les CAN 2024 et 2025. Sur les sites de compétition, des « zones vitalité » permettront aux supporters de découvrir, mais également de tester gratuitement, les références phares du portefeuille africain du groupe – FanMilk, Dan’Up, Nutriday ou Assiri – formulations adaptées aux besoins caloriques des climats tropicaux. L’enjeu n’est pas uniquement événementiel : des chaines de froid expérimentales vont être déployées dans les villes hôtes afin de sécuriser la distribution hors des grands centres urbains, offrant un terrain d’expérimentation précieux pour de futures extensions sur les marchés de la CEMAC.
Éducation nutritionnelle et diplomatie sportive auprès des jeunes
Le volet scolaire constitue le pivot durable du partenariat. Le Championnat scolaire africain de football, lancé en 2022 par la CAF et l’UNESCO, bénéficiera de kits pédagogiques co-conçus avec des nutritionnistes africains. Ces outils, distribués en français, anglais, portugais et swahili, insisteront sur la double nécessité d’un apport protéique régulier et d’une activité physique quotidienne. Les ministères congolais de la Jeunesse et de l’Enseignement général ont déjà annoncé l’intégration de ces supports dans leurs programmes extracurriculaires, en cohérence avec le Plan national de développement 2022-2026, qui fait de l’humain « le premier vecteur de relance économique ».
Retombées économiques locales : entre filière laitière et entrepreneuriat
Au-delà du message sanitaire, l’alliance devrait irriguer la filière laitière africaine. Danone s’est engagé à porter à 70 % la part de lait collecté localement dans ses usines d’Abidjan, Accra et Lagos d’ici à 2026. Des accords de sous-traitance incluent des coopératives congolaises émergentes dans le Pool et la Cuvette, garantissant un débouché stable et une montée en gamme des standards qualitatifs. Selon le cabinet Deloitte Afrique, chaque tranche de 10 millions d’euros investie dans la chaîne de valeur laitière génère 1 300 emplois directs et indirects. La perspective d’une CAN « made in Africa » pourrait ainsi catalyser l’essor de micro-entreprises logistiques, de services de restauration et de plateformes digitales de paiement, soutenant le tissu PME africain.
Gouvernance et responsabilité sociétale : un test grandeur nature
Sur le plan de la gouvernance, la CAF a insisté sur la transparence du dispositif. Un comité de suivi tripartite – confédération, Danone et acteurs institutionnels – publiera des indicateurs trimestriels : volumes distribués, taux de couverture scolaire et satisfaction des bénéficiaires. L’OMS Afrique, sollicité en tant qu’observateur, souligne déjà l’importance « d’éviter l’écueil du simple affichage philanthropique » et d’ancrer la démarche dans le long terme. Les observateurs diplomatiques voient dans cette méthodologie une évolution notoire par rapport aux partenariats sportifs des décennies précédentes, souvent dépourvus de mécanismes d’évaluation.
Réception positive à Brazzaville et opportunités régionales
À Brazzaville, la nouvelle a été accueillie favorablement tant par les milieux gouvernementaux que par la société civile. Les autorités rappellent que le pays accueillera plusieurs matches préparatoires et des équipes participantes, y voyant une occasion supplémentaire de valoriser les investissements nationaux dans les infrastructures sportives et de santé communautaire. En élargissant la portée du partenariat à la zone CEEAC, la CAF renforce par ailleurs le positionnement du Congo-Brazzaville comme acteur diplomatique au carrefour des dynamiques sportives et sanitaires régionales.
Vers les CAN 2024-2025 : des attentes mesurées mais substantielles
À moins de six mois du coup d’envoi, la coalition entre la CAF et Danone se présente comme une expérimentation grandeur nature de diplomatie nutritionnelle. Les parties prenantes demeurent conscientes des risques logistiques et des attentes élevées d’un public jeune, connecté et exigeant. Néanmoins, la perspective d’un cadre multilatéral où le football catalyse des avancées tangibles en matière d’alimentation saine constitue, selon la directrice de l’Agence panafricaine de nutrition sportive, « un signal encourageant pour la souveraineté alimentaire du continent ». Les CAN 2024 et 2025 pourraient ainsi dépasser le simple cadre compétitif pour s’inscrire dans l’histoire comme deux éditions emblématiques d’une Afrique capable d’allier spectacle, santé et développement à long terme.