Une rareté symptomatique d’un marché en tension
Au cours des derniers mois, les files d’attente devant les stations-service de Brazzaville et de Pointe-Noire ont abondamment illustré les limites d’un système d’approvisionnement sous pression. Selon le ministre des Hydrocarbures, Bruno Jean Richard Itoua, l’écart entre une demande intérieure croissante et une capacité de raffinage qui ne couvre qu’environ soixante pour cent des besoins nationaux explique l’apparition de goulets d’étranglement. L’argument est corroboré par les données de la Congolaise de raffinage, lesquelles témoignent d’une production inférieure aux pics de consommation observés dans l’hinterland urbain et minier.
Importations massives : le levier d’urgence pour restaurer l’équilibre
Pour répondre à la crise, la Société nationale des pétroles du Congo a établi un calendrier d’importations d’une ampleur inédite. Cent cinq jours d’autonomie pour le super et soixante-dix pour le gasoil sont désormais visés, tandis que plusieurs cargaisons sont déjà déchargées au large de la rade de Pointe-Noire. À en croire Bruno Jean Richard Itoua, ce dispositif, baptisé « Coup de poing », amorce le retour au rythme normal de distribution, gage d’une stabilisation progressive des prix à la pompe. Cet afflux de produits raffinés étrangers rappelle toutefois la vulnérabilité logistique d’un pays classé parmi les premiers producteurs de brut d’Afrique centrale.
Renforcer la chaîne logistique nationale : du rail à l’oléoduc stratégique
Le gouvernement veut dépasser la seule réponse conjoncturelle pour inscrire l’action publique dans la durée. La remise en capacité du Chemin de fer Congo-Océan est présentée comme un vecteur prioritaire de fluidification des flux pétroliers vers le corridor Brazzaville-Ouesso. En parallèle, l’accord signé avec la Fédération de Russie pour la construction d’un oléoduc Pointe-Noire–Brazzaville constitue une perspective structurante : trois dépôts, totalisant trois cent mille mètres cubes, tripleraient la capacité actuelle de stockage de la Société commune de logistique. Aux yeux des analystes, cette infrastructure réduirait substantiellement les coûts de transport, élément déterminant dans le déficit chronique du sous-secteur aval.
Un modèle économique en mutation, entre régulation sociale et orthodoxie financière
À la dimension matérielle s’ajoute la nécessité d’un cadrage économique. La mission d’assistance technique du Fonds monétaire international recommande depuis 2022 la dérégulation des prix de vente des produits pétroliers, gage, selon l’institution, d’une réduction des subventions implicites et d’un assainissement durable du secteur. Le pouvoir exécutif congolais, soucieux de préserver le pouvoir d’achat, n’a pas entériné cette option. « Nous privilégions des solutions graduées ne sacrifiant pas l’accès des ménages vulnérables », a insisté le ministre lors de son intervention à l’Assemblée nationale (4 juillet). Plusieurs économistes locaux estiment qu’un équilibre peut être trouvé par la constitution de stocks stratégiques et la mutualisation des coûts de transport, plutôt que par une hausse brutale des prix à la pompe.
Résilience sociale et transition énergétique : un horizon à concilier
Au-delà des considérations budgétaires, la pénurie a mis en lumière la centralité du carburant dans le tissu socio-économique. Les perturbations observées sur les réseaux de transport collectif, l’agriculture vivrière ou encore les micro-entreprises urbaines attestent d’une dépendance forte à l’or noir. Dans ce contexte, les mesures gouvernementales visent aussi à rassurer les opérateurs et à éviter l’émergence d’un marché parallèle où les prix se multiplient par deux. Parallèlement, plusieurs voix universitaires appellent à inscrire l’actuelle mobilisation dans une trajectoire de diversification énergétique, citant le potentiel hydroélectrique du bassin du Kouilou-Niari et l’essor récent du solaire hors-réseau dans les localités rurales.
La coordination de ces chantiers démontre la volonté des autorités de concilier urgence opérationnelle et stratégie de souveraineté énergétique. En assumant la complexité d’un marché mondialisé et en mobilisant des partenaires techniques d’envergure, Brazzaville cherche à garantir un approvisionnement fiable tout en préservant la cohésion sociale, pierre angulaire d’un développement inclusif.