Un chantier statistique régional inédit
Sous les lambris d’un hôtel de Libreville, plus de soixante spécialistes en statistiques agricoles ont lancé, le 8 décembre, un marathon technique destiné à bâtir le premier système intégré d’information alimentaire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, la Cemac.
L’initiative, soutenue par la Banque mondiale, cherche à doter la sous-région d’un tableau de bord fiable, capable de suivre en temps réel la production, les importations et la consommation, afin d’orienter les politiques publiques et rassurer les marchés.
Cinq jours de formation ciblée à Libreville
Du 8 au 12 décembre, les experts des Instituts nationaux de statistique du Cameroun, du Congo-Brazzaville, du Gabon, de la Guinée équatoriale, de la République centrafricaine et du Tchad ont disséqué la méthodologie onusienne des bilans alimentaires dans une salle motivée.
Les formateurs d’Afristat ont alterné séances pratiques et exposés théoriques, permettant aux participants de saisir, structurer et valider des jeux de données souvent dispersés dans plusieurs administrations, un travail jugé essentiel pour muscler la gouvernance statistique de chaque État.
Application Shiny-FBS, nerf de la modernisation
Au cœur des écrans, l’application open source Shiny-FBS, développée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, s’impose comme l’outil fédérateur. Elle automatise le calcul des équilibres céréaliers, carnés ou halieutiques, limitant les approximations.
« Avec Shiny-FBS, nous passons d’un travail sous tableur à une architecture partagée et documentée », souligne un statisticien congolais, convaincu que l’application favorisera la comparabilité des séries temporelles et la transparence des hypothèses retenues par les experts nationaux.
Partage d’expériences entre six capitales
Chaque délégation a présenté les défis propres à son pays : manque de données phytosanitaires au Cameroun, statuts juridiques morcelés des bases douanières en Guinée équatoriale ou retards de transmission communale en République centrafricaine. Les échanges ont mis en lumière des gisements d’amélioration.
Les représentants du Congo-Brazzaville ont, pour leur part, partagé leur méthode d’interconnexion entre le ministère du Commerce et la Direction générale des Douanes, saluée par plusieurs participants comme un modèle susceptible d’être répliqué à N’Djamena ou Bangui.
Pourquoi le bilan alimentaire devient crucial
Depuis la crise sanitaire mondiale, les prix des denrées évoluent à un rythme imprévisible, tandis que le conflit russo-ukrainien a rappelé la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement céréalières. Disposer d’indicateurs solides apparaît désormais comme un impératif stratégique, expliquent plusieurs économistes présents.
Le bilan alimentaire offre en effet une photographie exhaustive des disponibilités et des besoins, précieuse pour anticiper les tensions et structurer les réserves nationales. Il devient un outil de dialogue entre ministères, mais aussi entre États, favorisant une réponse concertée aux chocs climatiques.
Sécurité et souveraineté alimentaires en jeu
Pour Nicolas Beyeme Nguema, commissaire aux politiques économiques de la Cemac, la statistique n’est pas un luxe technocratique mais « le cœur de la souveraineté alimentaire ». Il a souligné l’importance de décisions fondées sur des preuves plutôt que sur des intuitions.
En filigrane, la question de la sécurité alimentaire se double de celle de la stabilité sociale. Des chiffres mieux maîtrisés doivent permettre de planifier les appuis aux filières locales, réduire la facture d’importation et contenir les flambées de prix susceptibles de fragiliser les ménages urbains.
Appui de la Banque mondiale et d’Afristat
Le projet bénéficie d’une enveloppe régionale mobilisée par la Banque mondiale dans le cadre de son soutien à l’intégration économique en Afrique centrale. L’institution insiste sur la nécessité de consolider les chaînes de valeur alimentaires pour stimuler la croissance et l’emploi rural.
Afristat assure l’accompagnement technique et la normalisation statistique. L’observatoire prépare déjà des missions in situ dans les six capitales, afin de veiller à la bonne appropriation de la méthode et à la production régulière d’indicateurs fiables.
Des retombées attendues pour les agriculteurs et les marchés
À terme, les données consolidées devront éclairer la fixation des prix planchers pour certains produits stratégiques, soutenir les programmes d’achat public et guider les investisseurs privés vers les créneaux porteurs, estiment plusieurs consultants agricoles rencontrés en marge de l’atelier.
Un producteur de manioc venu de la périphérie de Libreville témoigne : « Si l’État anticipe mieux les ruptures, nous pourrons négocier des contrats stables et investir dans la transformation ». Son propos illustre l’attente d’une chaîne de valeur plus prévisible.
Une approche pérenne grâce à l’exercice annuel
Madior Fall d’Afristat a plaidé pour que la compilation devienne un rituel budgétisé, à l’image des comptes nationaux. Une telle régularité créerait, selon lui, une mémoire statistique indispensable pour mesurer les évolutions réelles et ajuster, sans délai, les politiques.
À l’issue de la formation, les participants sont repartis avec des manuels et des feuilles de route pays par pays. La Cemac envisage déjà une deuxième session consacrée aux comptes d’émission de gaz à effet de serre liés à l’agriculture, signe d’une ambition élargie.
Perspectives régionales
Les autorités de la sous-région misent enfin sur des tableaux de bord communs pour nourrir le projet d’un marché agricole intégré, porteur de circulation sans entrave des produits et de mécanismes de stockage partagés. Un avant-goût du libre-échange continental rappelé par plusieurs intervenants.
