La société civile en quête de dialogue
À la Maison de la société civile de Brazzaville, les 10 et 11 juillet 2025, une poignée d’acteurs associatifs s’est réunie sous l’égide du Conseil consultatif de la société civile. Au-delà du symbolique, la scène illustre la maturation d’un paysage sociopolitique où la parole publique n’est plus l’apanage des partis. Les six organisations regroupées au sein de la Coordination nationale des réseaux et associations sur la gouvernance électorale et démocratique (Coraged) ont posé un diagnostic sans équivoque : la prochaine présidentielle de mars 2026 occupe les esprits, mais le pays gagnerait à la préparer dans la sérénité. D’où la proposition d’une concertation nationale, réplique contemporaine des forums de dialogue déjà régulièrement convoqués par les autorités depuis 2002.
Portant la voix collective, Céphas Germain Ewangui, secrétaire permanent du Conseil consultatif, a rappelé que l’État demeure dépositaire de la sécurité des personnes et des biens, ainsi que des libertés fondamentales, notamment celle de la presse, socle indispensable à un scrutin crédible. Le ton se veut constructif : il ne s’agit ni de contester la légitimité des institutions ni de remettre en cause le calendrier électoral, mais de renforcer en amont un climat de confiance indispensable à la consolidation démocratique.
Un héritage de consultations successives
Depuis la Constitution de 2002, l’exécutif congolais s’est systématiquement appuyé sur des concertations rassemblant forces vives, partis et syndicats avant chaque séquence électorale majeure. Cette pratique, souvent saluée par les observateurs régionaux, a contribué à installer une habitude de dialogue qui distingue Brazzaville dans un environnement parfois chahuté. Pour la Coraged, il serait judicieux de prolonger ce schéma, à l’heure où la pandémie post-Covid a exacerbé les fragilités socioéconomiques et où la volatilité des cours pétroliers, principale ressource budgétaire, pèse sur les finances publiques.
Le recours régulier à ces forums a montré que la recherche d’un compromis procédural peut circonscrire les tensions, même si certaines oppositions déplorent la nature consultative du dispositif. Les tenants de la démarche rappellent toutefois qu’une concertation ne se substitue pas au suffrage universel : elle en prépare le terrain, en affinant les règles du jeu électoral et en définissant les mécanismes de règlement pacifique des différends.
Les attentes d’une présidentielle apaisée
À moins d’un an de l’échéance, les organisations signataires redoutent la réactivation de souvenirs douloureux. Les périodes électorales ont parfois été synonymes de crispations, nourries par la compétition politique et les rumeurs de fraude. L’objectif déclaré de la Coraged est donc de transformer la présidentielle en un rendez-vous citoyen ordinaire, et non en épisode anxiogène. Leur feuille de route, encore à l’état d’ébauche, suggère notamment la consolidation du fichier électoral, le renforcement des capacités logistiques de la Commission nationale électorale indépendante et l’élaboration d’un code de bonne conduite signé tant par la majorité que par les oppositions.
L’organisation insiste également sur la nécessité d’une pédagogie civique. Dans un pays dont la population est majoritairement jeune, l’éducation électorale demeure un vecteur de légitimité. Elle contribue à réduire l’abstentionnisme, mais aussi à contrer la circulation de fausses informations, exacerbée par la montée en puissance des réseaux sociaux.
Sécurité, libertés, cohésion : un triptyque prioritaire
La déclaration finale des assises souligne l’importance d’un équilibre entre sécurité et libertés publiques. Les signataires se félicitent des avancées observées depuis plusieurs années en matière de protection des candidats et de couverture médiatique pluraliste, chiffres de couverture radiophonique à l’appui. Ils recommandent néanmoins de consolider les dispositifs d’alerte précoce contre les discours de haine et de renforcer la coopération entre Commission vérité-réconciliation, forces de l’ordre et organisations de la société civile afin d’anticiper tout débordement.
Sur le plan social, la Coraged met l’accent sur la cohésion nationale. Dans un contexte multiconfessionnel et multilingue, la présidentielle représente aussi un moment de célébration de la diversité congolaise. Les ONG proposent que la charte graphique et audiovisuelle de la campagne officialise des messages multilingues, véhiculant l’idée d’un destin commun, conformément à la devise nationale Unité, Travail, Progrès.
Le rôle de l’État sous le prisme de la gouvernance
À l’issue des assises, les participants ont reconnu les efforts déjà consentis par les pouvoirs publics pour respecter le calendrier électoral malgré les aléas économiques. Ils saluent également la mise à disposition de ressources budgétaires pour la formation des agents électoraux dans l’ensemble des départements. Cette reconnaissance n’exclut pas l’exigence : la société civile attend de l’exécutif qu’il fixe rapidement la date de la concertation et qu’il rende publics ses termes de référence afin de garantir l’inclusivité du processus.
Dans les couloirs du forum, certains experts soulignent que la qualité de la gouvernance électorale est désormais observée de près par les partenaires techniques et financiers. Une concertation réussie offrirait un signal positif aux bailleurs, susceptible de consolider la mobilisation de financements en faveur des infrastructures et des programmes sociaux.
Vers une feuille de route consensuelle
L’appel lancé à Brazzaville résonne comme une invitation à transformer un réflexe consultatif en vraie culture stratégique du consensus. La Coraged, forte de son ancrage local, plaide pour une méthodologie inclusive : en amont, un recueil des propositions via des forums provinciaux ; en aval, un mécanisme d’évaluation indépendant permettant de mesurer l’application des recommandations, une fois la présidentielle achevée.
À l’heure où le Congo-Brazzaville poursuit sa marche vers la consolidation institutionnelle, la perspective d’une concertation nationale, loin d’être une simple formalité, pourrait ouvrir une nouvelle séquence d’apprentissage démocratique. Elle offrirait enfin l’occasion d’ancrer dans la durée un dialogue fécond entre société civile, gouvernants et partenaires internationaux, préservant ainsi la stabilité et la cohésion d’un pays dont les enjeux dépassent largement les frontières de l’Afrique centrale.