Un signal venu de la société civile congolaise
Réunis les 23 et 24 juin dans la capitale congolaise, une trentaine de délégués issus des administrations, du secteur privé, des ONG et des communautés autochtones ont dressé un constat commun : la forêt du bassin du Congo ne sera préservée qu’au prix d’une réforme substantielle des règles du jeu économique. Hébergé par l’Observatoire congolais des droits de l’Homme et la Rencontre pour la paix et les droits de l’Homme, le forum, financé par le Royaume-Uni avec l’appui technique de Fern, s’inscrit dans la lignée des engagements pris lors de la COP26 de Glasgow qui plaçaient la gouvernance forestière au cœur des compromis climatiques (UNFCCC, 2021).
La forêt congolaise, atout climatique et vulnérabilité économique
Deuxième massif tropical de la planète, le bassin du Congo capte chaque année près de 1,1 milliard de tonnes de CO₂, soit davantage que l’Amazonie en phase de saturation selon la revue Nature (2021). Pour la République du Congo, cet héritage écologique représente toutefois une manne économique immédiate : l’exploitation forestière pèse environ 6 % du PIB et plus de 10 000 emplois directs, tandis que l’essor minier — fer de Mayoko ou potasse côtière — promet des recettes fiscales substantielles (Banque mondiale, 2022). Entre impératif de développement et devoir de conservation, le pays avance sur une ligne de crête que d’aucuns disent de plus en plus étroite.
Des recommandations qui ciblent la faille législative
Au terme de débats nourris, les participants ont invité le gouvernement à accélérer l’adoption du projet de loi sur la faune sauvage et les aires protégées et à réviser la grille de légalité de l’Accord de partenariat volontaire APV/FLEGT signé avec l’Union européenne. Ils plaident aussi pour un code agricole rural afin de freiner l’expansion désordonnée des cultures commerciales. Le diagnostic récurrent porte sur l’obsolescence de textes parfois antérieurs à 2000, insuffisamment articulés avec la loi 33-2020 relative à la forêt qui introduit pourtant le principe de gestion durable obligatoire pour tout titre de coupe (Journal officiel de la République du Congo, 2020).
Concessions forestières : entre opacité et conflits d’usage
Plus de 12 millions d’hectares sont aujourd’hui couverts par des concessions industrielles, souvent octroyées sans étude d’impact complète selon Greenpeace Afrique (2022). Cette situation nourrit des tensions récurrentes entre exploitants, populations locales et pouvoirs publics. Dans le Kouilou, des chefs de village accusent une société asiatique de restreindre l’accès à des zones de chasse ancestrales, tandis qu’au Sangha les syndicats pointent le non-respect des plans d’aménagement quinquennaux. La mise en place de « cadres de concertation » préconisée par le forum vise à instituer une médiation permanente, mais encore faut-il doter ces structures de moyens financiers et de compétences juridiques claires.
L’enjeu minier, angle mort des politiques forestières
Si l’accent est traditionnellement mis sur le bois, l’extraction minière représente une menace croissante pour les écosystèmes ripicoles. Le fer de Nabemba ou les gisements aurifères de la Likouala nécessitent routes, lignes électriques et remblais qui fragmentent l’habitat forestier. Or, rappelle l’ONG Global Witness (2023), le code minier congolais n’impose qu’une étude d’impact de portée limitée et exempte les projets de moins de 25 hectares de consultations publiques. Les acteurs du forum demandent donc un alignement des standards miniers sur ceux de la REDD+, condition sine qua non pour maintenir la crédibilité du pays sur les marchés carbone.
Partenaires internationaux : de la parole aux cautionnements verts
Londres, Bruxelles et Washington multiplient les annonces de financement, à l’image de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale, dotée de 1,5 milliard de dollars à l’horizon 2025 (AFD, 2022). Mais les bailleurs exigent désormais des garanties mesurables : certificats FSC pour le bois d’œuvre, publication des contrats miniers, et mécanisme de règlement des différends accessible aux communautés autochtones. Le gouvernement congolais a certes ratifié la Déclaration de Glasgow sur les forêts, mais il lui reste à traduire ces principes en décrets opérationnels. Le prochain examen par le Fonds vert pour le climat, prévu en novembre, pourrait constituer un test décisif.
Vers un pacte forestier socialement inclusif
Au-delà de la technicité juridique, la forêt congolaise est un espace identitaire et économique pour plus de 700 000 autochtone-s d’après le PNUD (2021). L’absence d’un cadre clair de partage des bénéfices alimente la perception d’une « économie d’enclave » profitant essentiellement aux multinationales. En promouvant la création de conseils locaux de surveillance et la redistribution d’une fraction des redevances forestières, le forum de Brazzaville propose les premiers jalons d’un nouveau pacte. Plusieurs diplomates européens voient dans cette approche communautaire une condition de stabilité politique à moyen terme, un conseiller de l’ambassade de France la qualifiant même de « mur porteur d’une gouvernance apaisée ».
Quel horizon pour la diplomatie climatique congolaise ?
Les recommandations adoptées à Brazzaville ne constituent pas un traité, mais elles éclairent la direction que souhaite prendre une partie de la société civile. À la veille de la COP28 à Dubaï, le gouvernement congolais devra présenter des résultats tangibles pour espérer accéder aux financements fondés sur la performance. Entre l’urgence budgétaire et la pression des bailleurs, la fenêtre d’opportunité est étroite mais réelle. La crédibilité internationale de la stratégie climatique congolaise se jouera, en dernière analyse, dans la capacité de l’État à réguler efficacement les concessions et à protéger les droits des communautés dont la forêt demeure l’unique horizon.