Chronologie d’un dispositif transitoire devenu structurel
L’histoire débute entre 2004 et 2008, lorsque l’État congolais conclut avec cinq opérateurs – dont Congo Dejia Wood Industry et la Société industrielle et forestière du Congo – des conventions d’aménagement et de transformation d’une durée de quinze ans. Ces contrats, adossés au Code forestier de 2000, fixaient des obligations précises : élaboration de plans d’aménagement, construction d’unités industrielles locales et versement de redevances destinées aux collectivités riveraines.
L’échéance contractuelle, atteinte pour la plupart des concessions en 2019, aurait normalement dû déboucher sur une évaluation exhaustive, préalable à la reconduction ou à la remise en appel d’offres des titres. Or, pour éviter l’interruption brutale d’activités génératrices d’environ vingt mille emplois directs et indirects, le ministère de l’Économie forestière a notifié aux entreprises des autorisations provisoires de mise en valeur. Pensées comme des passerelles de quelques mois, ces lettres administratives se sont prolongées, créant une zone grise que les juristes qualifient aujourd’hui de « vide normatif toléré ».
La voix polyphonique d’une société civile en quête de transparence
Dans une note de position rendue publique à Brazzaville, l’Observatoire congolais des droits de l’homme, l’ONG Comptoir juridique Junior et plusieurs plateformes communautaires dénoncent le caractère « illégal » des prolongations. « Nous saluons l’engagement ancien de l’État pour la gestion durable, mais il faut revenir à l’orthodoxie du Code forestier », souligne Nina Cynthia Kiyindou Yombo. Les organisations exigent l’annulation des lettres provisoires, l’évaluation article 175 en main de chaque convention échue et, le cas échéant, la signature d’avenants dûment approuvés en Conseil des ministres.
Ces acteurs insistent, en outre, sur l’incidence locale : sans contrat formel, la redistribution de la taxe de développement local se retrouve gelée, retardant l’entretien des pistes rurales et la construction d’écoles primaires dans les districts riverains d’Impfondo ou de Pokola. Ils rappellent toutefois le rôle central du Congo dans l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale et sa place dans le partenariat pour la protection des forêts conclu à la COP26, arguant que la crédibilité internationale du pays passe aussi par la régularité de ses titres.
Le ministère entre pragmatisme économique et impératif légal
Interrogé sur la poursuite d’activités sans avenant formalisé, un haut cadre de l’administration forestière évoque « la nécessité de concilier urgence sociale et rigueur juridique ». Selon lui, les autorisations provisoires ne sauraient être assimilées à des passe-droits ; elles constituent un mécanisme transitoire pour sécuriser les emplois, maintenir les recettes fiscales et éviter l’abandon de grumes en forêt. Il rappelle que des missions conjointes – Inspection générale des finances, Agence congolaise d’urbanisme et des grands travaux – ont été dépêchées sur les sites afin de recueillir les éléments d’évaluation exigés par la loi.
Le gouvernement affirme, par ailleurs, avoir engagé des discussions bilatérales avec chacun des opérateurs pour contractualiser, sous forme d’avenants, de nouveaux cahiers des charges intégrant les normes de la certification forestière paneuropéenne. Cette démarche, explique-t-on, s’inscrit dans la dynamique du Plan national de développement 2022-2026, lequel promeut la montée en gamme de la transformation locale du bois pour réduire la dépendance aux exportations de grumes.
Enjeux économiques, diplomatiques et climatiques d’une filière sous tension
La filière bois représente près de 7 % du produit intérieur brut congolais et demeure le premier employeur privé après le secteur pétrolier. Elle constitue aussi un levier diplomatique, le Bassin du Congo stockant plus de 30 milliards de tonnes de carbone. À ce titre, Brazzaville bénéficie de financements climat, dont 65 millions de dollars obtenus auprès de partenaires multilatéraux depuis 2015 pour la mise en œuvre de la REDD+. Toute remise en cause de la légalité des titres risquerait de fragiliser ces flux financiers.
Sociologues et économistes soulignent néanmoins que la compétitivité durable passe par la sécurisation foncière. « Le coût d’un contentieux arbitral dépasse largement celui d’une gouvernance claire », analyse un chercheur de l’Université Marien-Ngouabi. Pour les communautés autochtones, la question est aussi identitaire : les concessions se superposent souvent à des territoires de chasse et de cueillette, et la prolongation tacite de titres jugés expirés alimente une défiance latente.
Perspectives d’une réforme forestière attentive aux parties prenantes
Le débat sur les autorisations provisoires agit aujourd’hui comme un révélateur des défis de la gouvernance forestière. Si la société civile milite pour une rupture rapide avec les pratiques d’exception, les autorités privilégient une transition sécurisée afin de préserver l’outil industriel et la paix sociale. Des ponts semblent toutefois possibles : la publication d’un calendrier officiel d’évaluations, l’institution d’un guichet unique pour la délivrance des avenants et l’implication systématique des communautés locales dans les comités de suivi pourraient apaiser les récriminations.
À moyen terme, la révision annoncée du Code forestier, attendue au Parlement avant la fin de l’année, devrait clarifier le statut des lettres provisoires et renforcer les sanctions en cas de non-conformité. La stratégie nationale d’industrialisation, couplée à la montée des exigences de traçabilité sur les marchés européen et asiatique, place de facto les entreprises face à une alternative : s’aligner ou se retirer. En misant sur le dialogue et la transparence, Brazzaville espère démontrer qu’efficacité économique et préservation des écosystèmes ne sont pas antinomiques mais complémentaires.