Brazzaville sonne le rappel des alliances
Le 9 septembre, dans les salons feutrés du ministère des Affaires étrangères qatari, la République du Congo a confirmé sa détermination à voir un des siens prendre les rênes de l’Unesco en 2025.
Mandaté par le président Denis Sassou Nguesso, le ministre Denis Christel Sassou Nguesso a remis à Doha un message destiné à l’Émir Tamim al-Thani, demandant l’appui de son pays au candidat Firmin Édouard Matoko lors de l’élection prévue en octobre 2025.
Cette démarche s’inscrit dans une stratégie plus large, amorcée dès le printemps, qui consiste à rallier progressivement les capitales influentes du Golfe, de l’Union africaine et d’Asie à la vision portée par le diplomate congolais pour l’agence onusienne.
Les responsables congolais insistent sur le caractère collectif de l’initiative : il ne s’agit pas seulement d’une candidature nationale, disent-ils, mais d’une proposition au service d’une Unesco plus attentive aux priorités de continents longtemps marginalisés.
Le profil d’un vétéran de l’Unesco
Originaire de Pointe-Noire, Firmin Édouard Matoko travaille depuis plus de trois décennies au siège parisien de l’Unesco, où il a dirigé successivement la Division Afrique, le Secteur de l’Éducation et aujourd’hui l’important Département des partenariats stratégiques.
Ses proches vantent sa connaissance fine des mécanismes internes, sa capacité à négocier des coalitions Nord-Sud et une sensibilité particulière aux questions africaines, atouts jugés déterminants par Brazzaville pour accompagner les priorités de développement humain défendues au plan national.
« Cette candidature solide mettra en lumière le Congo et renforcera son rayonnement international », a martelé à Doha le ministre de la Coopération internationale, estimant que l’expérience de terrain de M. Matoko constitue « un gage de crédibilité pour tous les États membres ».
Selon des diplomates accrédités auprès de l’Unesco, le fait qu’un dirigeant issu d’Afrique centrale n’ait jamais occupé ce poste pourrait susciter l’écoute d’États désireux de rééquilibrer la gouvernance mondiale des savoirs et du patrimoine.
Une diplomatie de persuasion discrète
Brazzaville sait que le scrutin se jouera en grande partie dans les couloirs, bien avant le vote formel du Conseil exécutif, puis de la Conférence générale. Le déplacement à Doha marque une étape dans une tournée qui s’annonce dense jusqu’à l’automne 2025.
Le choix du Qatar n’est pas anodin : la monarchie du Golfe entretient un dialogue soutenu avec Paris, siège de l’Unesco, et exerce une influence croissante dans les cercles multilatéraux, notamment sur les questions de patrimoine et d’innovation éducative.
En 2017 déjà, Doha avait pesé pour l’élection d’Audrey Azoulay, que le Congo avait soutenue. Brazzaville espère aujourd’hui un retour de bonne entente, misant sur la réciprocité entre États francophones engagés pour la diversification des sources de savoir.
La diplomatie congolaise s’appuie aussi sur le réseau des diasporas, discrètement mobilisées pour relayer l’argumentaire auprès de leurs gouvernements d’accueil. Des notes de plaidoyer circulent déjà, mettant en avant l’universalité du profil de M. Matoko plutôt qu’un tropisme national.
Qatar Airways, symbole d’un partenariat élargi
Au-delà de la campagne pour l’Unesco, la visite ministérielle a permis de relancer le dossier de la cinquième liberté aérienne accordée début 2023 à Qatar Airways pour desservir Brazzaville, une autorisation suspendue en raison de procédures administratives inachevées.
Le ministre qatari Mohammed bin Abdulaziz Al-Khulaifi s’est engagé à « suivre personnellement » le dossier, jugeant la ligne Doha-Kinshasa-Brazzaville stratégiquement porteuse pour connecter l’Afrique centrale aux hubs du Moyen-Orient et, au-delà, aux marchés européens et asiatiques.
Pour Brazzaville, ce couloir aérien représenterait un levier supplémentaire d’attractivité touristique et d’acheminement de fret, complétant les efforts d’intégration logistique portuaire et ferroviaire menés par le gouvernement dans le cadre du Plan national de développement 2022-2026.
Les équipes techniques des deux pays vont reprendre leurs échanges dans les prochaines semaines, avec l’objectif d’une première rotation commerciale avant la fin de l’année, si les homologations techniques et sanitaires reçoivent le feu vert des autorités compétentes.
Un enjeu continental pour 2025
L’élection du directeur général de l’Unesco obéit à des équilibres régionaux mouvants. L’Afrique, forte de cinquante-quatre voix, n’a cependant présenté qu’un nombre limité de candidats victorieux depuis la création de l’agence en 1945, d’où l’importance du consensus recherché autour de M. Matoko.
Brazzaville multiplie donc les consultations à l’Union africaine et avec les groupes de vote d’Amérique latine, d’Asie-Pacifique et d’Europe de l’Est, conscients que les alliances inter-régionales font souvent basculer les scrutins au sein des organes directeurs onusiens.
Au-delà du prestige, une victoire congolaise offrirait à la sous-région CEMAC un relais précieux pour défendre ses programmes éducatifs, ses biens patrimoniaux menacés et ses initiatives culturelles émergentes, en écho aux orientations du président Denis Sassou Nguesso sur la diplomatie d’influence positive.
D’ici au scrutin, chaque soutien comptera. Le signal donné par le Qatar, allié de poids sur le marché mondial de l’énergie et des investissements, conforte Brazzaville dans l’idée qu’une campagne articulant expertise, modération et ouverture peut rallier une majorité convaincante.