Une rencontre bilatérale sous le sceau de la diversification économique
Vienne, haut lieu d’arbitrage multilatéral, a servi de décor à la dernière opération de charme congolaise en matière de diversification économique. Invités par la société autrichienne ASC Impact, Jean-Marc Thystère-Tchicaya, titulaire du portefeuille des Zones économiques spéciales, et Rosalie Matondo, ministre de l’Économie forestière, ont conduit du 22 au 26 juin une délégation élargie à l’ambassadrice Édith Itoua. L’objectif officiel : attirer capitaux, technologies et savoir-faire pour verdir l’assise encore pétro-dépendante du trésor public congolais. Selon le Plan national de développement 2022-2026 de Brazzaville, l’or noir représente toujours plus de 70 % des recettes d’exportation. La rencontre autrichienne s’inscrit donc dans la feuille de route d’une « transition économique juste » défendue par le président Denis Sassou-Nguesso lors de la COP27.
Oyo-Ollombo : laboratoire industriel ou mirage tropical ?
Le protocole d’accord paraphé le 23 juin prévoit la création d’une emprise dédiée au sein de la zone économique spéciale d’Oyo-Ollombo, dans la Cuvette. Sur le papier, 100 millions d’euros seront injectés dans les opérations de reboisement et plusieurs centaines de millions supplémentaires dans des unités de sciage, de déroulage et de pâte à papier. Le modèle rappelle celui de la zone de Nkok au Gabon, salué par la Banque mondiale pour son intégration verticale bois-papier (Banque mondiale, 2023). Mais l’expérience congolaise devra composer avec un déficit récurrent d’infrastructures : la seule voie ferrée reliée au port de Pointe-Noire demeure saturée, et la nationale 2 est régulièrement coupée par les crues du fleuve Alima.
Crédits carbone : Brazzaville saisit l’aubaine climatique
Les signataires misent sur l’émission de crédits carbone forestiers pour sécuriser la rentabilité du projet. D’après l’Organisation internationale des forêts tropicales, le marché volontaire du carbone pourrait atteindre 50 milliards de dollars en 2030. Le Congo, qui abrite 10 % des tourbières du bassin du Congo, se positionne déjà comme « poumon vert de la planète », un récit habilement entretenu depuis le Sommet des trois bassins forestiers organisé à Brazzaville en octobre 2023. « Le reboisement industriel doit créer de la valeur locale, pas seulement des actifs financiers pour des portefeuilles européens », prévient toutefois un analyste de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, sollicité par nos soins.
Autriche : des niches technologiques au service de la diplomatie verte
En marge des pourparlers, les ministres congolais ont rencontré l’ancien président Heinz Fischer et la députée européenne Elisabeth Köstinger, figures de proue de la diplomatie climatique autrichienne. Vienne souhaite consolider sa spécialisation dans les équipements de transformation du bois à haute efficacité énergétique, segment où l’Autriche détient 6 % des parts de marché mondiales (OCDE, 2024). Karl Ernst Kirchmayer, président d’ASC Impact, affirme vouloir faire d’Oyo-Ollombo « une vitrine de l’ingénierie forestière autrichienne en Afrique centrale », misant sur des lignes de débitage automatisées réduisant de 30 % les pertes de matière.
Retombées locales : promesses d’emplois et impératif de gouvernance
L’étude d’impact préliminaire évoque 3 000 emplois directs et 8 000 indirects sur dix ans, des chiffres encore prudents selon le ministère congolais du Travail. Dans une région où le taux de pauvreté atteint 64 %, l’annonce sonne comme un signal politique majeur. Reste la question de la gouvernance foncière : la société Aforest-Congo bénéficiera de concessions de 50 000 ha, alors que la loi congolaise exige des plans d’aménagement participatifs avec les communautés riveraines. Les précédents litiges autour de la palmeraie d’Oyo rappellent que l’acceptabilité sociale peut devenir le talon d’Achille de tout mégaprojet.
Entre scepticisme et optimisme prudent des bailleurs multilatéraux
La Banque africaine de développement, qui finance déjà la route Ketta-Djoum, observe le dossier avec intérêt mais conditionne tout appui à la certification FSC des plantations. De son côté, l’Agence française de développement souligne « l’importance d’un mécanisme de partage équitable des revenus carbone ». Les bailleurs redoutent un effet d’éviction : l’afflux de devises privées pourrait reléguer les réformes structurelles nécessaires à la compétitivité hors pétrole. À Vienne, la délégation congolaise a néanmoins insisté sur la création d’un guichet unique au sein de la zone spéciale, gage d’une meilleure coordination institutionnelle.
Vers une diplomatie économique axée sur la crédibilité environnementale
Avec cette mission, Brazzaville cherche à convaincre qu’elle peut convertir son capital naturel en valeur ajoutée industrielle sans rééditer les erreurs d’une économie du tout-pétrole. Si l’inflexion paraît sincère, son succès dépendra de la capacité des autorités à orchestrer une gouvernance transparente et à sécuriser les infrastructures logistiques. Le partenariat congo-autrichien illustre l’émergence d’une diplomatie verte où les flux d’investissement suivent la crédibilité environnementale. Reste désormais à passer de la signature à l’exécution, exercice qui, en Afrique centrale, continue de séparer les promesses des résultats tangibles.