Carrefour de la mémoire musicale africaine
Dans la touffeur de juillet, les percussions venues de tous les horizons résonnent déjà à Brazzaville, prélude sonore à la douzième édition du Festival panafricain de musique. Le rendez-vous, programmé du 19 au 26 juillet 2025, reste fidèle à la double vocation esquissée dès 1996 : célébrer la création artistique et archiver la mémoire organologique du continent. C’est dans cette dynamique que le Musée panafricain de la musique, adossé à l’École nationale des beaux-arts Paul-Kamba, a reçu un ensemble inédit d’instruments offerts par cinq nations sœurs.
Le geste, répété à chaque édition, transcende la simple donation patrimoniale. Il revitalise une communauté épistémique d’ethnomusicologues et de musiciens qui scrutent les circulations culturelles sous-régionales. Comme le souligne Honoré Mobonda, directeur du Musée, « chaque instrument est un passeport symbolique, porteur d’histoires, de cosmologies et de protocoles sociaux ». Ainsi, l’établissement, ouvert au public depuis 2008, se veut moins un mausolée qu’un laboratoire vivant où se tressent passé, présent et prospective africaine.
Un dialogue d’instruments et de diplomatie
Les pièces récemment dévoilées – pendé, goni, inanga, umuduri, inyahura ou encore xylophone sénégalais – constituent autant de marqueurs identitaires qu’outils d’intercompréhension symbolique. Certains, tel le goni ivoirien, résonnent à l’appel des griots pour magnifier les hauts faits de la communauté. D’autres, à l’instar de l’inanga mauritanien, se réservent aux grands rites masculins, rappelant la place prescrite des genres dans la performance musicale traditionnelle.
Au-delà de la charge anthropologique, la remise solennelle de ces artefacts participe d’un soft power assumé. La ministre congolaise de l’Industrie culturelle, Marie Hélène Lydie Pongault, l’a rappelé en soulignant que « la polysémie sonore de ces instruments rappelle l’unité dans la diversité que le continent revendique ». Chaque objet, conservé sous climat contrôlé, devient ainsi une pièce dans le puzzle diplomatique que Brazzaville assemble patiemment pour consolider sa stature de carrefour culturel d’Afrique centrale.
Une stratégie de rayonnement culturel pour Brazzaville
Le Congo-Brazzaville s’appuie depuis plusieurs années sur les industries culturelles pour diversifier son image internationale. Le Fespam, adossé à des infrastructures modernisées, offre une fenêtre médiatique rare, susceptible d’attirer mécènes, chercheurs et touristes culturels. Selon Hugues Gervais Ondaye, commissaire général du festival, le renforcement du Musée est « un levier pour structurer la filière musicale locale et consolider les emplois connexes ».
L’initiative s’inscrit aussi dans l’agenda 2030 de l’Union africaine, qui érige la culture en vecteur prioritaire de développement durable. En accueillant vingt-et-un pays contributeurs depuis son ouverture, le Musée se pose en plate-forme de coopération Sud-Sud. Les questions d’égalité d’accès, de formation des luthiers et de circulation des œuvres y sont régulièrement débattues, faisant de Brazzaville un nœud stratégique du dialogue intergouvernemental sur le patrimoine immatériel.
Numériser pour pérenniser le patrimoine
La matérialité fragile des instruments en bois, en fibres ou en peaux impose un protocole conservatoire exigeant. Dans ce domaine, le partenariat Prima avec le Musée des instruments de musique de Bruxelles a permis la numérisation haute définition de centaines de pièces. Les visiteurs virtuels peuvent désormais ausculter la moindre gravure ou membrane, tandis que les chercheurs accèdent à des banques de données sonores cross-référencées.
Cette stratégie numérique répond à un double impératif : démocratiser l’accès au savoir et prémunir les collections contre l’usure du temps. En coulisse, les ingénieurs congolais s’initient aux standards rigoureux de l’archivistique internationale. Le résultat alimente une diplomatie scientifique discrète mais déterminante, qui positionne le Congo comme interlocuteur crédible dans les réseaux muséographiques mondiaux.
Vers l’édition 2025 : enjeux et perspectives
À quelques mois de l’ouverture des festivités, les scènes se montent, les ateliers pédagogiques se dessinent et les délégations finalisent leurs programmes. Les débats devraient notamment porter sur la place des musiques urbaines dans la conservation patrimoniale, un domaine où la juxtaposition entre tradition et innovation n’est plus antinomique mais dialectique. D’ici là, le Musée panafricain de la musique poursuivra sa campagne de sensibilisation auprès des écoles et des conservatoires régionaux.
Les attentes convergent : offrir au public un récit cohérent de l’Afrique sonore, montrer que la sauvegarde des pratiques ancestrales peut coexister avec l’effervescence créative contemporaine. En réaffirmant la centralité de l’instrument traditionnel, Fespam 2025 entend, selon les mots d’un ethnomusicologue rwandais, « accorder nos identités multiples sur une même tonalité d’avenir ». Brazzaville, inscrite dans cette trajectoire, consolide ainsi sa position de carrefour où se négocie le devenir culturel du continent.