Les racines d’une querelle aux relents structurels
Depuis que la Fédération congolaise de football a confirmé, début octobre, le tandem Barthélémy Ngatsono–Béni Makouana pour diriger la sélection locale, la place publique brazzavilloise bruisse d’accusations de favoritisme et de coups de couloir. Une partie de l’opinion, relayée par plusieurs éditorialistes sportifs, estime qu’il aurait fallu reconduire le technicien intérimaire qui avait conduit les Diables rouges A’ jusqu’au billet qualificatif pour le Championnat d’Afrique des nations prévu en janvier 2024. Pareille controverse n’est pas nouvelle sous les tropiques. Elle s’enracine dans la gouvernance historiquement centralisée de la Fécofoot, peu encline à détailler ses critères de recrutement et qui, depuis la normalisation imposée par la FIFA en 2021, affiche toujours un déficit de communication institutionnelle.
La CAF et la normalisation des exigences techniques
Un élément factuel filtre pourtant des bureaux du Caire : dans son circulaire daté du 14 août 2023, la Confédération africaine de football rappelle que, pour officier durant le Chan, tout entraîneur principal et son adjoint doivent détenir la licence A CAF, à défaut de quoi la fédération concernée s’expose à des sanctions financières et sportives. Or, le duo désigné répond à cette exigence, contrairement à l’entraîneur par intérim, encore inscrit dans le cycle de formation. Les dirigeants congolais ont donc joué la carte du pragmatisme réglementaire, confiait sous anonymat un membre de la commission technique de la CAF, précisant que la mesure vise à « élever le niveau moyen des bancs africains et protéger la crédibilité de la compétition ».
La jurisprudence africaine des remaniements post-qualification
D’Accra à Alger, la relecture des dernières campagnes africaines confirme qu’une qualification n’érige pas le sélectionneur en titulaire indiscutable. Le Ghana avait remercié Charles Akonnor pour Otto Addo à trois mois de la Coupe du monde 2022, tandis que l’Algérie n’avait pas hésité à remplacer Ludovic Batelli par Noureddine Ould Ali après la CAN U23. Comme le rappelle l’analyste camerounais Zacharie Nkoulou, interrogé par Jeune Afrique, « les fédérations prennent rarement le risque d’affronter une phase finale avec un staff dont le CV ferait tiquer les instances ». Le Congo ne fait donc que s’aligner sur une tendance continentale, même si le timing nourrit inévitablement les soupçons de calculs politiques internes.
Un miroir des tensions institutionnelles à Brazzaville
Au-delà du rectangle vert, cette passe d’armes révèle la crispation entre la Fécofoot, récemment refinancée par le Trésor public, et certains réseaux de soutien à l’ancien sélectionneur, souvent proches des clubs de première division. Les premiers voient dans ce changement une professionnalisation nécessaire, les seconds y lisent une mise à l’écart de figures jugées trop indépendantes. Pour l’ancien ministre des Sports Léon-Alfred Opimbat, joint par RFI, « le football congolais sert trop souvent de théâtre auxiliaire aux batailles d’influence que la classe politique ne parvient pas à régler ailleurs ». Dans cet environnement, chaque choix technique devient symptôme d’une rivalité institutionnelle plus large, où l’équilibre entre expertise locale et ambitions internationales demeure instable.
Le défi logistique et diplomatique de la préparation
Sur le plan opérationnel, le nouveau staff hérite d’un calendrier contraint : démarrage du stage bloqué mi-novembre à Oyo, rencontre amicale envisagée contre la République centrafricaine, puis déplacement test à Cotonou en décembre. Le ministère des Affaires étrangères, sollicité pour faciliter les visas Schengen indispensables au stage de prospection prévu à Marbella, voit dans la réussite du Chan un instrument de soft power précieux, surtout depuis la relance du projet « Congo horizon 2030 ». Or, sans cohésion autour du banc, l’argument d’image risque de s’éroder, note la diplomate Isabelle Traoré, spécialiste du sport-diplomatie à l’Institut des hautes études internationales de Genève.
Vers une pacification nécessaire du débat public sportif
Le temps presse désormais davantage que les querelles personnelles. La CAF publiera la liste définitive des effectifs le 18 décembre, et tout retard administratif ou controverse médiatique peut retomber sur la performance des joueurs. Plusieurs voix, dont celle du capitaine Junior Makouana, exhortent les supporters à soutenir « l’étendard national plutôt que des individus ». En définitive, la question n’est plus de savoir si le staff choisi est légitime, mais comment créer les conditions matérielles, psychologiques et diplomatiques d’une préparation à la hauteur des ambitions affichées par Brazzaville. À ce prix seulement, la polémique actuelle pourra rejoindre la longue galerie des faux débats qui animent régulièrement la scène sportive congolaise sans jamais empêcher l’équipe d’écrire ses plus belles pages.