Electricité à Brazzaville : état des lieux
Chaque soir, les lampes qui vacillent dans certains quartiers de Brazzaville rappellent la fragilité persistante du réseau électrique national, ossature essentielle du développement urbain, industriel et de la qualité de vie des ménages.
Face à ces contraintes, le gouvernement congolais affiche désormais un horizon clair : d’ici septembre 2026, les coupures fréquentes doivent céder la place à une alimentation fiable, fruit d’un vaste programme de modernisation articulé autour du transport, de la production et de la maintenance.
Un réseau vieillissant sous tension
Le corridor électrique entre Pointe-Noire et Brazzaville, mis en service en 1980, constitue l’épine dorsale du système national mais aussi son talon d’Achille, victime de décennies de surcharge et d’intempéries sans remplacement massif des composants clés.
Les techniciens de la Société nationale d’électricité estiment qu’environ 200 mégawatts se volatilisent chaque jour sur cette ligne, dissipés sous forme de chaleur, faute de transformateurs et de compensateurs suffisamment calibrés pour le transit énergétique actuel.
Cette déperdition explique qu’un pays capable de produire plus de 750 mégawatts ne parvienne pas toujours à couvrir une demande inférieure, phénomène qui alimente délestages, ralentissement industriel et recours croissant aux générateurs privés, coûteux et polluants.
Le plan gouvernemental de modernisation
Pour sortir de cette impasse, le ministère de l’Énergie a présenté un plan de redressement fondé sur la remise à niveau des installations critiques et la reconfiguration des flux afin de sécuriser l’acheminement vers la capitale et les grands centres industriels.
Le calendrier, que le ministre Emile Ouosso décrit comme « exigeant mais réalisable », repose sur trois étapes : libération des capacités perdues dès 2025, fiabilisation complète du corridor en 2026 et modernisation continue au-delà pour anticiper la croissance démographique.
Selon les projections officielles, presque 3000 emplois directs et indirects devraient naître des chantiers, de la fabrication des pylônes à l’installation des nouveaux câbles, dynamisant ainsi les économies locales tout en renforçant le capital technique national.
Partenariat public-privé et rôle d’Eni-Congo
Acteur historique du secteur pétrolier, Eni-Congo s’est vu confier la réhabilitation de cinq postes stratégiques, dont Loudima, Djiri et Ngoyo, grâce à un accord prévoyant transfert de compétences et livraison d’équipements de grande puissance spécialement fabriqués en Europe et en Asie.
« Nous livrerons les premiers transformateurs haute tension début 2024 », assure un responsable d’Eni-Congo, convaincu que la démarche conjointe avec la Société nationale d’électricité permettra de gagner plusieurs mois sur le calendrier habituel de tels projets.
Outre l’aspect technique, ce partenariat illustre l’orientation prônée par les autorités vers des financements hybrides, mêlant ressources publiques, capitaux privés et appui multilatéral afin de garantir la pérennité des investissements dans un contexte budgétaire maîtrisé.
Le barrage de Moukoukoulou, atout stratégique
Situé au fil du Niari, le barrage de Moukoukoulou reste l’un des symboles de l’indépendance énergétique congolaise, avec une capacité initiale de 74 mégawatts destinée d’abord aux cimenteries et aux complexes agro-industriels de la Bouenza.
Les turbines, usées par le temps, seront entièrement remplacées, tandis que la rénovation de la salle des machines instaurera un haut degré d’automatisation, capable de réduire les arrêts non planifiés et d’accroître la production de près de 30 %.
Ce relèvement de puissance dopera le corridor sud, libérant d’autres centrales pour la desserte du nord et de l’est, où plusieurs projets miniers émergent, signe que la stratégie énergétique vise un équilibre territorial plus harmonieux.
Impact socio-économique attendu
La disponibilité continue d’électricité constitue un levier direct pour l’industrialisation prévue dans le Plan national de développement 2022-2026, en particulier dans la filière ciment, appelée à satisfaire un marché régional en pleine expansion.
D’après la Chambre de commerce de Brazzaville, chaque mégawatt supplémentaire stabilisé génère environ 800 000 FCFA de valeur ajoutée quotidienne dans l’industrie, sans compter l’effet multiplicateur sur les services, les transports et l’emploi urbain.
Du côté des ménages, l’Institut national de la statistique prévoit une baisse de 15 % des dépenses consacrées aux carburants de groupe électrogène, économies susceptibles d’être redirigées vers la santé, l’éducation ou l’entrepreneuriat familial.
Financements et calendrier réaliste
Le soutien de la Banque mondiale, approuvé en juillet, porte sur 300 millions de dollars sous forme de prêt concessionnel, orienté vers la réhabilitation de la ligne Pointe-Noire/Brazzaville et la mise en place d’un centre national de dispatching moderne.
Une mission conjointe du bailleur et de l’exécutif est attendue en novembre pour valider les appels d’offres internationaux, étape jugée cruciale par les observateurs, car elle conditionne l’arrivée effective du matériel début 2025.
Vers une gestion durable de l’énergie
Au-delà des infrastructures, le ministère envisage de renforcer la maîtrise d’énergie chez les consommateurs via des compteurs intelligents et une campagne de sensibilisation à l’efficacité énergétique, démarche conforme aux engagements climatiques pris lors de la COP27.
Les autorités misent également sur l’intégration progressive de la production solaire et de la biomasse, notamment dans les zones rurales, pour diversifier le bouquet énergétique et réduire la pression sur le réseau national interconnecté.
Si le défi reste majeur, spécialistes et partenaires louent la cohérence du plan actuel, considéré comme un « tournant structurel » capable de doter le Congo d’une électricité fiable, moteur incontournable de l’industrialisation et d’une croissance inclusive à long terme.