Un rôle historique au cœur de l’administration
Depuis sa création, l’École nationale moyenne d’administration, ENMA, incarne un maillon indispensable de la fonction publique congolaise. Ses promotions alimentent les services de l’État avec des cadres moyens capables d’articuler les politiques publiques sur le terrain et d’assurer la continuité administrative.
La filière greffier principal illustre cet héritage. Sélectionnés parmi les greffiers sortis de l’ENMA, ces professionnels acquièrent deux années supplémentaires de spécialisation puis soutiennent l’ossature des tribunaux en veillant à l’authenticité des actes et à la sécurité juridique des citoyens.
Ce positionnement s’explique par la vocation même de l’école : offrir un cursus pragmatique, étroitement connecté aux réalités de terrain, afin que l’État dispose d’un vivier de compétences immédiatement opérationnelles et non d’une élite coupée des dossiers quotidiens.
Une concurrence accrue avec l’ENAM
L’ouverture récente de la spécialité greffier en chef à l’École nationale d’administration et de magistrature, ENAM, bouleverse l’équilibre initial. Le concours est désormais accessible aux bacheliers dépourvus d’expérience, alors qu’il demeurait, jusque-là, un aboutissement pour les greffiers principaux déjà fonctionnaires.
Résultat : un étudiant entré directement à l’ENAM obtient le diplôme de greffier en chef en trois ans, tandis que son homologue issu de l’ENMA doit cumuler deux années de formation puis deux autres d’attente avant d’entamer un cycle de trois ans, soit cinq années.
Cette asymétrie alimente un sentiment d’injustice parmi les agents déjà en poste. Un greffier de cour d’appel confie, sous couvert d’anonymat, craindre que « l’expérience de terrain soit désormais moins valorisée qu’un concours ouvert au plus grand nombre ».
Le ministère de la Fonction publique rappelle pourtant que l’ENAM demeure orientée vers les cadres supérieurs et que la complémentarité avec l’ENMA reste indispensable pour maintenir une pyramide administrative équilibrée, fondée sur des compétences graduées.
Du côté des élèves de l’ENAM, on souligne que la diversification des profils répond aux besoins d’une justice plus accessible. « L’État gagne à recruter des jeunes motivés, même sans expérience, puis à les former rigoureusement », estime un responsable pédagogique.
Des filières stratégiques suspendues
Outre cette concurrence, l’ENMA fait face à la suspension récente de trois filières phares : journalisme, diplomatie et gestion des collectivités locales. Chacune répondait pourtant à un besoin identifié de l’appareil d’État et des collectivités.
La disparition de la filière journalisme prive les titulaires d’un BEPC, déjà recrutés dans les services d’information publique, d’une voie de perfectionnement. Ne disposant pas de baccalauréat, ils ne peuvent rejoindre l’Université Marien-Ngouabi, se retrouvant durablement bloqués dans leur progression.
Le même scénario touche la diplomatie, désormais confiée à un partenariat public-privé. Les étudiants redoutent que les frais de scolarité de cette branche externalisée n’écartent les candidats issus de milieux modestes, alors que la représentation extérieure du pays gagne à refléter sa diversité.
Enfin, la création d’une filière hôtellerie-tourisme interroge. L’État ne dispose plus d’hôtels publics, et les débouchés reposent désormais sur un secteur privé encore en structuration. Les futurs diplômés s’inquiètent de ne pas trouver de passerelles vers la Fonction publique.
Risques sociaux et institutionnels
Si l’ENMA s’effaçait, la pyramide des compétences se creuserait dangereusement. Entre le cadre supérieur stratège et l’agent d’exécution, l’espace médian resterait vide, risquant d’alourdir les procédures, de ralentir l’implémentation des politiques et d’accentuer les inégalités territoriales.
Les magistrats soulignent que la chaîne judiciaire requiert impérativement des greffiers bien formés pour garantir la fiabilité des audiences comme la conservation des archives. Sans eux, préviennent-ils, l’accès au droit perdrait en célérité et en sécurité juridique.
Au-delà de la justice, les collectivités locales, engagées dans la décentralisation, comptent sur des gestionnaires formés à l’ENMA pour suivre les budgets, piloter les marchés publics et accompagner les mairies. L’absence de ce vivier renforcerait la dépendance vis-à-vis des autorités centrales.
Les observateurs estiment enfin que la perte d’attractivité de l’école pourrait stimuler l’exode de jeunes talents vers d’autres métiers ou l’étranger, privant l’administration de forces vives au moment où le Congo-Brazzaville consolide ses réformes de modernisation.
Pistes pour redorer le blason de l’ENMA
Plusieurs acteurs plaident pour une clarification officielle des offres de formation. Une décision du conseil des ministres, publiée au Journal officiel, permettrait de sanctuariser les filières stratégiques et d’arbitrer ouvertement la répartition des compétences entre ENMA et ENAM.
Une deuxième priorité concerne la mise à jour des maquettes pédagogiques afin d’intégrer les mutations numériques et la gouvernance axée sur les résultats, sans perdre la vocation pratique qui fonde l’identité de l’école.
Sur le plan de l’image, des forums métiers et des partenariats avec les administrations utilisatrices favoriseraient la visibilité des diplômés. Démontrer le taux d’insertion dans les tribunaux, les préfectures ou les médias renforcerait la confiance des futurs candidats.
Enfin, le développement de passerelles académiques, validant l’expérience professionnelle acquise, garantirait aux cadres moyens une progression fluide vers les niveaux supérieurs. Le dispositif contribuerait à fidéliser les talents tout en optimisant l’efficience de la dépense publique.
Les partenaires techniques et financiers pourraient également soutenir des bourses ciblées, garantissant l’équité d’accès aux filières restaurées.