Une démarche de terrain inédite
Depuis quelques jours, des gilets bleus estampillés Globus arpentent les artères de Brazzaville, de Pointe-Noire et des capitales départementales. Leur mission : discuter, noter, comprendre les aspirations des citoyens sur l’emploi, la santé, l’eau ou l’éducation. Avec 50 enquêteurs, l’opération se veut exhaustive et inclusive.
Cette initiative découle de l’ONG russe Globus, déjà présente en République du Congo depuis plusieurs années, qui veut calibrer de futurs projets socio-économiques. L’organisation affirme que l’écoute du terrain doit précéder toute décision d’investissement ou de partenariat, afin d’éviter les programmes plaqués depuis l’étranger.
Intitulé « Notre futur commun », le programme a été officiellement lancé le 21 octobre. Quatorze sondeurs couvrent Brazzaville, pendant que trente-six sillonnent les douze autres départements. Chefs de village, associations de femmes, coopératives agricoles et lycéens sont sollicités dans le même esprit de dialogue direct.
Des enquêteurs congolais formés
La formation préalable a duré deux semaines dans la capitale. Elle portait sur la conduite d’entretiens semi-directifs, l’éthique de la collecte de données et la neutralité des questions. Les modules ont été animés par des sociologues russes et congolais, aidés par des spécialistes locaux du développement participatif.
« Un bon enquêteur écoute d’abord, ne juge jamais », rappelle Koud Etokabeka, coordinateur national du projet. Selon lui, la fiabilité du sondage dépendra de la capacité de chaque agent à restituer fidèlement la parole citoyenne. Les questionnaires combinent réponses ouvertes et items quantitatifs pour mesurer les priorités.
Une campagne aux ambitions régionales
Globus table sur un échantillon de 10 000 entretiens d’ici la fin de l’année. Les données seront analysées à Oyo, dans un centre mis à disposition par l’Université Marien-Ngouabi, puis partagées avec les ministères compétents. Les premiers projets pilotes devraient voir le jour au premier semestre 2024.
Derrière cette opération se dessine aussi la volonté de la Russie de renforcer sa présence en Afrique centrale. Pour autant, Globus insiste sur son statut d’ONG et non d’agence étatique. « Nos financements sont privés, nos experts sont bénévoles », souligne la fondatrice Yulia Berg, arrivée à Brazzaville en septembre.
L’organisation revendique déjà des actions culturelles, dont un festival de cinéma d’animation russe à Pointe-Noire, ainsi qu’un appui à la rénovation de bibliothèques scolaires dans les Plateaux. Le volet sportif comprend des tournois de sambo, art martial populaire en Russie, organisés en partenariat avec la Fédération congolaise de judo.
Une méthodologie centrée sur les territoires
Pour Olga Ustinova, sociologue et responsable méthodologique, la cartographie fine des besoins doit éviter l’écueil des moyennes nationales. « Les attentes des pêcheurs de la Kouilou diffèrent de celles des enseignants de la Cuvette. Notre approche classe les priorités par territoire et par groupe social », explique-t-elle.
L’attention portée à la jeunesse se veut particulière. Les enquêteurs visitent lycées et instituts techniques pour interroger les élèves sur l’orientation, l’accès au numérique et l’entrepreneuriat. Dans plusieurs établissements, la curiosité des élèves a débouché sur de véritables débats autour du rôle d’une ONG et de la coopération internationale.
Implication des autorités et du secteur privé
Les autorités locales se disent favorables. À Dolisie, le préfet a salué une « initiative complémentaire aux politiques publiques ». Le ministère du Plan, informé des objectifs, prévoit de mettre un expert à disposition pour faciliter la cohérence avec la stratégie nationale de développement 2022-2026.
Les partenaires économiques observent également le processus. Une banque de la place envisage, selon nos informations, de financer un micro-crédit dédié aux recommandations qui émergeront de l’enquête, notamment dans l’agriculture vivrière. L’objectif serait de transformer les doléances en projets générateurs de revenus pour les communautés rurales.
Transparence et confiance au cœur du projet
Sur le terrain, la confiance se construit pas à pas. Certains habitants redoutent au départ une démarche électorale ou un recensement fiscal. Les enquêteurs expliquent alors que les réponses sont anonymes et uniquement destinées à définir des projets, comme des forages d’eau ou des centres de formation.
Une fois les données consolidées, Globus organisera des restitutions publiques dans chaque département. Les citoyens pourront vérifier la concordance entre leurs attentes et les projets retenus. Cette transparence, selon l’ONG, constitue la meilleure garantie contre la méfiance et la clé d’une coopération durable.
Une vision tournée vers l’avenir
La dimension prospective n’est pas oubliée. Les experts russes croiseront les résultats congolais avec des tendances mondiales, de la transition énergétique à la numérisation des services. L’idée est de bâtir des solutions qui se projettent dans dix ans, sans perdre de vue les urgences immédiates du quotidien.
Au-delà de la photographie sociale, l’enquête veut installer une dynamique de dialogue permanent entre société civile, entreprises et pouvoirs publics. Si l’expérience est concluante, Globus envisage de rendre ce baromètre annuel. La voix des citoyens deviendrait alors un instrument régulier d’orientation des investissements au Congo-Brazzaville.
