Un Forum au cœur de Brazzaville
Au cœur de Brazzaville, la 2e édition du Forum économique des femmes a réuni des cheffes d’entreprise, des startuppeuses et des artisanes venues de plusieurs pays. Trois jours pour interroger un problème récurrent : l’accès aux ressources financières pour porter la croissance.
Adoubée par la directrice régionale du PNUD pour l’Afrique, Ahunna Eziakonwa, la rencontre se veut un catalyseur. L’experte onusienne a exhorté les participantes à « prendre le contrôle de toute la chaîne de valeur, du champ à l’usine », afin d’élargir leurs marges.
Crédit bancaire : l’écart persistant
Selon les données partagées, moins de 10 % des prêts bancaires bénéficient actuellement aux entrepreneures congolaises. Cette maigre proportion limite l’investissement, l’embauche et l’innovation, alors même que les objectifs nationaux de diversification économique nécessitent davantage de dirigeants issus de la société civile.
La parole institutionnelle, incarnée par Blandine Malila, directrice de cabinet de la Première Dame, a posé le débat sur le terrain du droit. L’inclusion financière, a-t-elle martelé, est un vecteur de dignité ; la refuser reviendrait à priver le pays d’un formidable réservoir d’idées.
Réseautage et chaîne de valeur
Flavie Lombo, à la tête de la Chambre nationale des femmes cheffes d’entreprise et entrepreneures du Congo, voit dans le forum un plaidoyer concret. Chaque experte devient une ambassadrice capable de transformer le génie féminin en emplois et en points supplémentaires de PIB.
Au-delà des discours, les participantes se sont engagées à cartographier les obstacles : exigences de garanties, complexité des dossiers, coûts des services numériques. Cette mise à plat constitue la première étape vers des solutions co-construites avec banques, assurances et incubateurs locaux.
Numérique et inclusion rurale
La Banque mondiale rappelle qu’un écart de genre d’un point dans l’accès au crédit peut retrancher jusqu’à 0,3 point de croissance annuelle. Dans un contexte post-pandémique, combler cette brèche devient, pour le Congo-Brazzaville, un impératif macroéconomique autant qu’une question d’équité.
Les ateliers ont souligné l’apport du numérique. En associant fintechs locales et opérateurs télécoms, des comptes mobiles à faible coût peuvent élargir le filet financier aux agricultrices des plateaux bâtéké ou aux poissonnières de Pointe-Noire, tout en sécurisant les transactions par la traçabilité.
La question rurale reste centrale : faute de titre foncier, beaucoup de productrices ne disposent pas des garanties exigées par les banques commerciales. Les panélistes ont suggéré de promouvoir des fonds de garantie publics, capables d’absorber une partie du risque et d’accélérer la mise en culture.
Formaliser pour grandir
Du côté des entreprises établies, l’enjeu porte sur l’accompagnement vers la formalisation. Trop d’activités demeurent informelles, ce qui réduit l’accès aux appels d’offres et aux financements concessionnels. Des sessions pratiques ont simulé le remplissage en ligne du registre de commerce unifié.
Le gouvernement, représenté par plusieurs directions sectorielles, a salué la démarche. Sans annoncer de nouveau programme, les responsables ont rappelé l’existence du Fonds national d’appui à l’employabilité féminine, doté en 2022 de deux milliards de francs CFA, dont le décaissement se poursuit progressivement.
Fonds publics : vers plus de visibilité
Les participantes ont insisté sur la nécessité d’une communication renforcée autour de ces guichets publics. Trop souvent, les formulaires sont peu diffusés et la chronologie des tranches reste méconnue. Des propositions de campagnes radio en langues nationales ont émergé pour réduire ce déficit d’information territoriale.
Zlecaf et horizon continental
L’accord continental de libre-échange, la Zlecaf, a également occupé le devant de la scène. Exporter des cosmétiques à base de karité ou des textiles pagne vers le Ghana suppose de maîtriser normes, taxes et logistiques floues pour de petites structures.
Un panel animé par l’Association congolaise des transitaires a présenté un guide simplifié des procédures douanières. L’idée est d’éviter que les entrepreneures ne soient pénalisées par la complexité documentaire, alors que le marché élargi pourrait multiplier par deux leurs volumes d’affaires d’ici cinq ans.
Paroles d’entrepreneures
Plusieurs témoignages ont marqué les esprits. Patricia, transformatrice de manioc à Dolisie, raconte avoir quadruplé sa production après un microcrédit garanti par une coopérative. Son défi reste la certification, indispensable pour pénétrer les supermarchés de la capitale et les plateformes numériques régionales.
De jeunes développeuses, quant à elles, ont présenté une application reliant PME féminines et investisseurs éthiques. En temps réel, le logiciel établit un scoring fondé sur les flux mobiles, facilitant l’éligibilité aux prêts. Une expérimentation pilote démarrera prochainement avec l’appui d’un réseau panafricain d’accélérateurs.
Un mémorandum pour l’action
À l’issue des travaux, un mémorandum a été adopté. Il recommande la création d’un tableau de bord de l’inclusion financière, mis à jour semestriellement, et l’extension du programme d’achat public à destination des entreprises labellisées « gouvernance paritaire ». La Chambre s’est dite prête à en assurer le suivi.
En attendant la prochaine édition, la communauté réunie à Brazzaville entend maintenir la pression pour que l’égalité d’accès au financement cesse d’être un slogan. Car, ont rappelé plusieurs intervenantes, soutenir les entreprises féminines revient à investir dans la résilience et la prospérité de la nation.