Un lancement présidentiel aux accents diplomatiques
Il est un peu plus de dix-neuf heures lorsque Denis Sassou Nguesso, visage serein, proclame l’ouverture de la 12ᵉ édition du Festival panafricain de musique. Le Palais des congrès retient son souffle, dense de diplomates, de parlementaires, de représentants d’organisations multilatérales et d’artistes venus de trois continents. Le chef de l’État, dont la trajectoire politique est indissociable d’une diplomatie culturelle patiemment façonnée, rappelle dans une brève allocution la vocation « d’unité et de projection mondiale » assignée à l’événement depuis 1996.
À ses côtés, la ministre de l’Industrie culturelle, touristique, artistique et des Loisirs, Marie-France Lydie Hélène Pongault, salue la « continuité de l’option stratégique qui fait de la culture un levier d’influence et de croissance inclusive ». L’assistance, en partie composée de jeunes entrepreneurs des industries créatives, perçoit dans cette ouverture la confirmation que la musique demeure un instrument de soft power, à même de transcender les tensions régionales et de consolider l’image d’un Congo-Brazzaville stable et tourné vers l’avenir.
Une scénographie exaltant la jeunesse congolaise
Le rideau à peine levé, la scène se métamorphose en un vortex de sons et de couleurs. La slameuse Mariusca Moukengue distille des vers fougueux avant que cent quatre-vingt-dix interprètes n’embrasent le plateau dans un ballet aux inflexions traditionnelles. Les nuances vert-jaune-rouge, portées comme une seconde peau, rappellent que le patriotisme culturel n’exclut pas l’ouverture internationale. Baptisé « Année de la jeunesse », le tableau inaugural concentre la quintessence d’une génération qui revendique sa place dans la fabrique symbolique du continent.
Pour Gervais Tomadiatounga, directeur de la compagnie Incolore, l’enjeu procédait d’un double impératif : condenser une création prévue pour trois cents artistes tout en conservant sa charge émotionnelle. Le chorégraphe souligne, non sans fierté, la capacité d’adaptation d’une scène congolaise souvent confrontée à des contraintes logistiques mais capable, le moment venu, d’offrir une fresque unanimement saluée par le public.
Fespam, laboratoire de l’économie culturelle africaine
Le commissaire général Hugues Gervais Ondaye inscrit le thème « Musique et enjeux économiques en Afrique à l’ère du numérique » dans une perspective socio-économique exigeante. Selon lui, la patrimonialisation du répertoire africain s’accompagne désormais d’une réflexion fine sur la valeur ajoutée générée par le streaming, la billetterie dématérialisée et la gestion des droits voisins. Ses propos rejoignent les analyses de l’UNESCO sur le poids croissant des ICC – industries culturelles et créatives – qui représentent près de 3 % du PIB africain.
Brazzaville ambitionne de transformer le festival en think tank opérationnel : symposiums, ateliers de modélisation économique et rencontres BtoB doivent esquisser les contours d’un écosystème où artistes, investisseurs et juristes inventent de nouveaux arbitrages entre protection patrimoniale et expansion commerciale.
Le numérique, catalyseur et enjeu de souveraineté
La question digitale s’invite avec acuité dans les débats. L’irruption des plateformes globales bouscule la souveraineté éditoriale des États, tout en offrant aux créateurs un accès inédit aux marchés diasporiques. Entre potentialités de revenus et risques de captation de la valeur par des opérateurs extrarégionaux, la dialectique reste vive. Les autorités congolaises envisagent d’adapter la législation sur la propriété intellectuelle afin de garantir un partage équilibré des recettes et une meilleure traçabilité des œuvres.
Derrière ces considérations techniques affleure un enjeu identitaire : le numérique, loin de dissoudre les particularismes, peut amplifier la visibilité des esthétiques locales, pour peu que les stratégies de contenu soient pensées sur la durée. Le Fespam sert ainsi de banc d’essai à des solutions de diffusion en réalité augmentée et à un observatoire des données de consommation, outils jugés indispensables pour affiner les politiques publiques culturelles.
Brazzaville, carrefour d’échanges intellectuels
Le maire Dieudonné Bantsimba rappelle que sa ville se veut « capitale panafricaine de la coopération culturelle ». L’édition 2025 donne corps à cette ambition en conviant chercheurs en sociologie des arts, économistes de la culture et directeurs de labels lors d’un symposium international. Les interventions, traduites simultanément en trois langues, interrogent les modèles de financement participatif, l’éthique de l’intelligence artificielle dans la création musicale ou encore la diplomatie des festivals comme vecteur de résolution pacifique des conflits.
Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, souligne dans un message vidéo que la « musique façonne des espaces communs là où la politique échoue parfois ». La présence institutionnelle onusienne confère une légitimité académique supplémentaire à un événement dont le rayonnement dépasse le strict divertissement pour s’inscrire dans le programme « Culture 2030 Indicators ».
Vers une consolidation post-pandémie du secteur musical
Après l’interruption induite par la crise sanitaire, l’édition 2023 avait déjà marqué une reprise saluée par les acteurs économiques. Celle de 2025 renforce la trajectoire de relance. Les organisateurs misent sur une fréquentation en hausse de 12 % et sur un budget désormais adossé à des partenariats publics-privés. Cette configuration est perçue comme une réponse pragmatique à la raréfaction des subventions classiques, tout en maintenant une gouvernance pilotée par l’État qui garantit la cohérence stratégique.
Le ministre des Finances a d’ailleurs annoncé la création prochaine d’un fonds souverain dédié aux ICC, instrument censé lisser les aléas conjoncturels et consolider les chaînes de valeur locales. Le Fespam, de ce point de vue, devient la vitrine opérationnelle d’une politique macroéconomique centrée sur la diversification hors pétrole.
La dimension populaire, ferment d’unité nationale
Au-delà des halls feutrés du Palais des congrès, l’esplanade bruisse d’une effervescence quasi carnavalesque. Les spectateurs exclus de la salle principale vibrent au rythme des percussions, improvisent des rondes et enregistrent en direct les performances pour les propager sur les réseaux sociaux. Cette appropriation spontanée inscrit le festival dans la mémoire collective et réactive la fonction cathartique de la fête, décrite par les anthropologues comme un rituel d’intégration.
La coexistence d’une programmation savante et d’une célébration de rue illustre la doctrine d’une culture partagée, accessible et néanmoins structurante. Elle rejoint l’appel présidentiel à « donner toute sa place à la jeunesse africaine », en l’occurrence comme actrice et non simple consommatrice du patrimoine musical.
Un horizon panafricain en perspective
Pour les huit jours à venir, Brazzaville se muera en agora où se côtoient innovation technologique, mémoire collective et ambitions économiques. De Mayanga à Kintélé, les scènes ouvertes offriront un échantillon représentatif de la pluralité africaine, tandis que le marché professionnel esquissera des alliances transfrontalières déterminantes pour la compétitivité du secteur.
En conclusion implicite de la cérémonie, le Fespam 2025 projette une Afrique créative, connectée et résiliente. À l’heure où la compétition géopolitique mondiale se joue aussi sur le terrain de l’imaginaire, le Congo-Brazzaville réaffirme, dans une réjouissante harmonie, que la musique demeure une langue universelle et un puissant vecteur de développement.