Un festival qui épouse les enjeux du numérique
En faisant converger, durant deux journées d’intenses réflexions, managers, programmateurs, chroniqueurs et développeurs de plateformes venus de trois capitales d’Afrique centrale, le Festival panafricain de musique réaffirme la vocation hybride que lui confère la ville de Brazzaville : célébrer l’héritage rythmique, tout en auscultant les mutations technologiques qui en refondent la circulation. Le commissaire général Hugues Gervais Ondaye, rappelant que « danser c’est bien, mais comprendre les outils numériques c’est décisif », a ainsi placé la douzième édition du FESPAM dans le sillage direct des politiques publiques congolaises d’accélération de l’économie numérique, lesquelles misent sur l’inclusion culturelle pour irriguer la croissance.
Découvrabilité : au-delà de la visibilité classique
Le terme, d’apparence savante, renvoie à une réalité très concrète : dans l’océan de contenus mis en ligne chaque jour, comment garantir qu’une chanson soit proposée à un auditeur qui n’en soupçonne pas même l’existence ? Le journaliste et consultant sénégalais Lamine Ba rappelle que la découvrabilité procède moins de l’achat d’espaces publicitaires que d’une architecture de données capable d’attirer l’algorithme sur la bonne fréquence. Les métadonnées – titre normalisé, credits précis, géolocalisation, langue, humeur ou tempo – constituent autant de phares guidant l’utilisateur jusqu’à l’œuvre. Faute de ces balises, la portée promotionnelle, fût-elle coûteuse, demeure éphémère.
Métadonnées, plateformes et mémoire collective
À l’heure où les discours officiels insistent sur la sauvegarde des patrimoines immatériels, la question des identifiants numériques rejoint celle de la mémoire culturelle. Une boucle rythmique lignagère du Nord-Congo, si elle n’est ni correctement créditée, ni contextualisée, risque de se perdre dans la masse, tandis qu’un titre pop plus récent peut se voir pousser par TikTok sans réel ancrage. Les experts de l’Organisation internationale de la francophonie évoquent la nécessité de former des « architectes de contenus » chargés de renseigner ces métadonnées avec la minutie d’un archiviste. À cet égard, la plateforme panafricaine « Music in Africa » apparaît comme un banc d’essai pertinent, tant pour la formation que pour la mise en réseau.
Vers une spécialisation des métiers de la filière
Le diagnostic fait l’unanimité : l’artiste-entrepreneur, figure longtemps valorisée pour son ingéniosité, atteint aujourd’hui ses limites. Cumuler les rôles de producteur, manager, attaché de presse et distributeur bride la capacité créative et retarde l’adaptation aux logiques de la data. Les débats ont souligné l’émergence, dans les grandes agglomérations du bassin du Congo, de micro-structures capables de prendre en charge le marketing numérique à la façon d’agences spécialisées. Pour Lamine Ba, cette segmentation n’est pas un luxe occidental, mais un impératif de compétitivité : « Sans répartition claire des compétences, la découvrabilité reste un mirage et la monétisation, une chimère. »
Conjuguer diplomatie culturelle et compétitivité régionale
Au-delà des enjeux techniques, l’atelier a révélé un consensus sur la dimension géopolitique de la découvrabilité. En offrant aux musiques africaines des fenêtres d’exposition mieux indexées, c’est l’image même des États qui se trouve renforcée auprès des opinions étrangères. Le Congo-Brazzaville, en accueillant ce laboratoire d’idées, s’inscrit dans une stratégie plus large de diplomatie par la culture, complémentaire des initiatives d’intégration régionale de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Les responsables présents ont évoqué l’idée d’un observatoire sous-régional de la découvrabilité qui mesurerait, à intervalles réguliers, la capacité des œuvres à franchir les frontières numériques. Cette perspective, encore embryonnaire, pourrait donner au FESPAM un rôle permanent de think tank, transformant le festival en tête chercheuse de l’innovation culturelle.
Capitalisation et calendrier post-atelier
Les participants se sont engagés à poursuivre les échanges via un réseau professionnel adossé à la plate-forme “Music in Africa” et à préparer, d’ici au prochain FESPAM, un guide de bonnes pratiques destiné aux artistes émergents. Ce document, pensé comme un vade-mecum des métadonnées applicables aux réalités francophones, devra être validé par un comité scientifique associant universitaires, organismes de gestion collective et entreprises de streaming. La perspective d’un partenariat pilote avec des opérateurs télécoms locaux a également été mentionnée, afin d’assurer des passerelles tarifaires pour l’accès aux contenus légaux et, partant, de renforcer la monétisation. Le rendez-vous est pris pour 2027, avec la promesse, formulée dans l’amphi de la Cité de la Francophonie, de mesurer l’impact concret des recommandations.
Un chantier collectif aux résonances continentales
S’il a pu sembler technique, l’enjeu de la découvrabilité transcende en réalité les seules préoccupations des professionnels. Il touche à la capacité d’un continent à raconter ses propres imaginaires sur les canaux mondiaux de diffusion. En fermant leurs laptops au soir du second jour, les participants avaient conscience d’entrer dans une phase d’expérimentation qui sollicitera la rigueur méthodique autant que l’intuition artistique. Pour Brazzaville, qui investit depuis plusieurs années dans des infrastructures numériques et créatives, l’atelier valide un positionnement comme hub régional, ouvert au dialogue, soucieux de conjuguer excellence culturelle et innovation technologique.