Brazzaville célèbre le tempo afro-latino
Dans la moiteur musicale de juillet, Brazzaville bruisse des sonorités qui font du Festival panafricain de musique un véritable forum de civilisations. La douzième édition, ouverte sous le haut patronage des autorités congolaises, élargit cette année encore son spectre géographique. L’arrivée du groupe vénézuélien Madera, première formation issue de la République bolivarienne à fouler la scène du Fespam, confère à la manifestation une coloration afro-latine inédite, saluée par plusieurs observateurs culturels comme un jalon dans l’histoire du festival.
Une première participation riche de symboles diplomatiques
Au-delà de l’aspect artistique, la présence de Madera relève d’un geste politique. L’ambassade du Venezuela à Brazzaville, par la voix de la ministre-conseillère Laura Evangelia Suarez, insiste sur la portée d’une « passerelle émotionnelle entre deux peuples portés par l’Atlantique et l’imaginaire des indépendances ». En accueillant la délégation caribéenne, le Congo renforce sa tradition d’hospitalité culturelle tout en consolidant un dialogue Sud-Sud que les chancelleries des deux capitales encouragent depuis plusieurs années. Dans un contexte international où la diplomatie se renouvelle par le soft power, cette collaboration musicale sert de vitrine à un partenariat qui se veut respectueux des souverainetés.
Madera : héritage caribéen et racines africaines
Né sur les rives du lac de Valencia, Madera puise son identité dans la syncope afro-caribéenne. Congas, cuatro vénézuélien et tambours bata se mêlent à des lignes de flûte criollas pour produire un répertoire où l’héritage africain, transporté jadis par la traite, dialogue avec des harmonies contemporaines. « Nous revenons à la source », confie le directeur artistique Carlos Escalona, évoquant une « dette culturelle » que les musiciens souhaitent honorer en territoire congolais. L’accueil chaleureux réservé par le public du Palais des congrès, lors du concert du 22 juillet, a confirmé la réceptivité d’un auditoire congolais traditionnellement sensible aux métissages sonores.
Kombé : l’orphelinat, scène d’un humanisme partagé
La représentation prévue le 24 juillet à l’orphelinat village des enfants cardinal Emile-Biayenda, sis à Kombé, témoigne d’une volonté d’inclusion sociale. Situé à l’orée du Centre de recherche agricole chinois, l’établissement accueille des dizaines d’enfants privés de soutien familial. Pour la direction du Fespam, il s’agit de « faire vibrer les cordes de la solidarité », selon les mots d’un responsable du comité d’organisation. En plaçant la musique là où la société manifeste ses fragilités, les autorités congolaises inscrivent la manifestation dans la philosophie du droit à la culture pour tous, prônée par l’UNESCO et régulièrement défendue à Brazzaville.
Une tournée ponctuée de collaborations locales
Avant Kombé, Madera a partagé l’affiche avec Kongo Salsa et Tam-Tam sans Frontières lors d’une soirée qui a mêlé rumba, son montuno et rythmes bantous. Le lendemain, le quartier de Mayanga vibrera, arrêt Maison Blanche, au son d’une jam session improvisée. Ces croisements attestent de la fertilité d’un espace musical congolais toujours prompt à intégrer des colorations nouvelles sans renoncer à ses fondamentaux, à l’image de la rumba récemment inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité.
Le Fespam, laboratoire de la coopération Sud-Sud
Créé en 1996, le Festival panafricain de musique s’est progressivement affirmé comme une plateforme scientifique et artistique. Les colloques universitaires organisés en marge des concerts interrogent la circulation des imaginaires, tandis que les ateliers professionnels favorisent la structuration d’un marché musical continental. L’édition 2023, soutenue par les autorités congolaises et plusieurs partenaires internationaux, illustre la capacité du pays à fédérer des initiatives qui traduisent la vision d’une diplomatie culturelle inclusive.
Dans un entretien accordé à un média local, un chercheur de l’université Marien-Ngouabi rappelle que « la coopération Sud-Sud ne se résume pas à la signature d’accords. Elle se vit aussi par la mobilité des artistes et la reconnaissance mutuelle des patrimoines ». La venue de Madera, fruit d’un dialogue souhaité par Caracas et Brazzaville, matérialise cette assertion et projette le Fespam sur la carte internationale des festivals où s’invente la mondialité musicale.
Perspectives et héritage attendu
La rencontre entre la tradition afro-vénézuélienne et la vivacité congolaise pourrait inaugurer un cycle d’échanges pérennes. Plusieurs producteurs locaux envisagent déjà l’enregistrement d’un album collaboratif, tandis que des écoles de musique de Pointe-Noire nouent des contacts pour accueillir des maîtres percussionnistes de Caracas. En coulisse, les diplomates négocient une saison culturelle croisée qui verrait les Ballets nationaux du Congo se produire à Mérida en 2024.
En insufflant une dimension sociale et humanitaire à leurs déplacements, les musiciens de Madera rappellent que l’art n’est pas un divertissement isolé, mais un facteur de cohésion et de projection collective. Les enfants de Kombé, premiers bénéficiaires de cette rencontre, porteront peut-être, dans quelques années, l’écho d’un tambour vénézuélien revisité sur les rives du fleuve Congo. Ainsi s’écrit, sous une forme sensible, un chapitre supplémentaire de la coopération culturelle entre deux pays résolus à faire de la musique un vecteur de développement harmonieux.