Fespam 2023, carrefour musical afro-latino
Depuis sa création en 1996, le Festival panafricain de musique s’est imposé comme une agora essentielle pour les scènes artistiques du continent et de sa diaspora. Placée sous le patronage des autorités congolaises, la douzième édition consacre une attention accrue aux échanges intercontinentaux, reflétant l’ambition du Congo-Brazzaville de demeurer un hub culturel majeur. Dans ce contexte, la venue du groupe vénézuélien Madera constitue un jalon décisif, marqué par la première participation officielle d’un ensemble sud-américain.
L’accueil réservé aux musiciens caribéens révèle l’attractivité croissante de la manifestation, soutenue logistiquement par le ministère congolais de la Culture et saluée par les représentations diplomatiques accréditées à Brazzaville. En élargissant son aire géographique, le Fespam confirme sa vocation de pont entre les rives de l’Atlantique, terrain partagé d’héritages culturels africains et latino-américains.
Madera : un héritage afro-vénézuélien amplifié
Fondé à Caracas à la fin des années 1970, Madera se distingue par une fusion de percussions africaines, de cuivres salsa et de chants issus des barrios populaires. Pour ses membres, la musique est moins un divertissement qu’un vecteur de mémoire collective liée aux racines congolaises présentes dans la côte caribéenne du Venezuela. « Nous voyons Brazzaville comme un retour symbolique à la source », confie le directeur artistique Vicente Freitez, soulignant que les tambours qu’il manie ont pour ancêtres les palancas bantoues.
Leur répertoire, interprété devant un public congolais enthousiaste au Palais des congrès puis à Mayanga, oscille entre compositions engagées et standards latino-africains revisités. Les interactions scéniques avec les formations locales Kongo Salsa et Tam-Tam sans frontières ont donné lieu à des improvisations polyrythmiques, suscitant des apostrophes complices entre artistes, preuve tangible d’une parenté musicale dépassant les océans.
L’orphelinat Cardinal-Émile-Biayenda, symbole d’inclusion sociale
Le choix de l’orphelinat village des enfants Cardinal-Émile-Biayenda comme lieu de concert le 24 juillet relève d’une double logique. D’une part, il s’agit d’inscrire la programmation du Fespam dans une dynamique de responsabilité sociale ; d’autre part, de rappeler la vocation de la musique à créer du lien au-delà des clivages socio-économiques. À Kombé, dans le huitième arrondissement, plus d’une centaine d’enfants ont ainsi découvert en direct les sonorités afro-caribéennes, certains improvisant même des pas de danse sous le regard bienveillant des éducateurs.
Pour la directrice de l’établissement, sœur Angélique Ngatsé, « cette rencontre illustre la solidarité culturelle que le chef de l’État appelle de ses vœux dans le cadre de la diplomatie humanitaire ». Les artistes, visiblement émus, ont offert des instruments pédagogiques à l’orchestre des jeunes du village, prolongeant l’événement au-delà de la simple performance musicale.
Une diplomatie des rythmes entre Brazzaville et Caracas
La présence de Madera à Brazzaville procède d’une coopération bilatérale impulsée par les chancelleries des deux pays. L’ambassadrice du Venezuela, Laura Evangelia Suarez, souligne que « le socle afro-descendant qui unit nos peuples trouve une résonance naturelle dans la musique ». Dans un contexte international où les partenariats Sud-Sud gagnent en visibilité, la culture se révèle un vecteur stratégique, complémentaire aux échanges économiques et énergétiques déjà noués entre les capitales.
Côté congolais, le comité d’organisation met en avant le rôle stabilisateur d’un soft power fondé sur la créativité. Les concerts conjoints, relayés par les médias publics et privés, ont offert une vitrine positive à la diplomatie culturelle de Brazzaville, confirmant la position du Congo comme interlocuteur fiable et ouvert au dialogue artistique mondial.
Perspectives d’une coopération culturelle Sud-Sud élargie
Les discussions entamées en marge du festival laissent entrevoir l’élaboration de programmes d’échanges réguliers entre conservatoires, la mise en place de résidences artistiques croisées et la participation d’ensembles congolais aux festivals de Maracaibo et de Caracas. Un protocole d’accord devrait être finalisé avant la fin de l’année, selon des sources diplomatiques concordantes.
Au-delà de l’événementiel, ces initiatives participent d’une stratégie plus vaste de valorisation du patrimoine immatériel commun, inscrite dans les objectifs de l’Union africaine et de la CELAC. L’écho rencontré par le passage de Madera rappelle qu’en matière de coopération, le rythme peut parfois précéder le verbe : un tambour, frappé en partage, suffit à tracer une trajectoire d’avenir entre deux continents.