Brazzaville accueille le temps long de la forêt
À l’ombre des manguiers qui bordent l’avenue de l’Indépendance, l’hôtel Michaël a résonné, deux jours durant, du souffle feutré de la diplomatie environnementale. Du 23 au 24 juin 2025, la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme et l’Observatoire congolais des droits de l’homme, soutenus par l’Agence de développement du Foreign, Commonwealth and Development Office, ont réuni près d’une quarantaine de décideurs, d’experts et de représentants communautaires. L’objectif affiché consistait à renforcer « les synergies pour une gouvernance inclusive des forêts et du climat », un fil conducteur parfaitement en phase avec la vision portée depuis plusieurs années par les autorités nationales en matière de développement durable.
Un socle juridique salué, une mise en œuvre perfectible
Adopté en 2020, le code forestier congolais constitue, de l’avis général, une avancée majeure. Il consolide la reconnaissance des droits des populations autochtones, encadre les concessions et introduit des mécanismes de transparence tels que le Système informatique de vérification de la légalité. Les échanges du forum ont toutefois souligné que la lettre ne vaut que par l’esprit qui l’anime. Retards dans la publication des décrets d’application, procédures parfois lourdes d’approbation des plans d’aménagement ou encore diffusion insuffisante des données forestières : autant de points soulevés qui appellent, selon les participants, à un « dialogue permanent et constructif » avec l’administration.
Le rôle catalyseur de l’État dans une gouvernance partagée
Les représentants des ministères de l’Économie forestière et de l’Environnement ont rappelé la détermination du gouvernement à faire de la forêt un levier de diversification économique, sans sacrifier la protection du patrimoine naturel. « Nous avançons résolument vers une administration plus ouverte, plus réactive, prête à intégrer les contributions de la société civile », a assuré un haut fonctionnaire présent. Ce positionnement, salué par plusieurs organisations internationales, s’inscrit dans la continuité des engagements pris par le Congo lors de la COP 27, où Brazzaville avait confirmé son attachement aux Accords de Paris et à l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale.
Le secteur privé, maillon essentiel de la chaîne de valeur verte
Au-delà du cadre régulateur, les participants ont insisté sur la responsabilité des compagnies forestières. Le forum a mis en exergue l’importance d’accélérer la validation des plans d’aménagement, gages de durabilité et de traçabilité des grumes destinées à l’exportation. Plusieurs opérateurs ont exprimé leur volonté de souscrire à des standards de certification internationaux, tout en plaidant pour une simplification administrative et une meilleure harmonisation des cahiers de charges. Cet alignement d’intérêts publiques et privés est perçu comme la clef d’une économie bois équitable, génératrice d’emplois locaux qualifiés.
Les communautés locales au cœur du contrat social forestier
Les représentants des villages riverains et des peuples autochtones ont fait entendre des voix longtemps tenues en marge. Elles rappellent que la forêt est d’abord un espace de vie, un réservoir de pharmacopée traditionnelle et le trait d’union d’identités culturelles séculaires. Pour Nina Cynthia Kiyindou Yombo, directrice exécutive de l’OCDH, « la sécurisation des droits d’usage et l’accès à l’information constituent un préalable à toute politique publique crédible ». Les participants ont reconnu que l’effectivité du consentement libre, informé et préalable doit s’appuyer sur une méthodologie concertée, doublée de programmes de sensibilisation en langue vernaculaire.
Transparence, financement et lutte contre la corruption : un triptyque stratégique
Si l’élan réformateur est manifeste, les intervenants ont pointé quelques goulots d’étranglement. La mise à disposition des informations issues du Système informatique de vérification de la légalité demeure perfectible, tout comme l’accès des organisations communautaires aux ressources du Fonds CAFI. Par ailleurs, la nécessité d’un barème d’indemnisation actualisé pour les cultures détruites lors de travaux forestiers a été soulignée, le tout dans un contexte où la lutte contre la corruption reste un impératif transversal. Les experts du Programme « Forêt, gouvernance, marché et climat » insistent sur l’importance d’outils numériques de suivi indépendants, couplés à des audits participatifs, afin de consolider la confiance des investisseurs internationaux.
Des recommandations au service d’un agenda opérationnel
Le forum s’est conclu par un faisceau de propositions convergentes. Elles invitent l’administration à finaliser les décrets relatifs au code forestier, à actualiser la loi sur l’environnement et à accélérer la mise en place de cadres de concertation locaux. Le secteur privé est encouragé à publier, dans des délais raisonnables, les plans d’aménagement certifiés et à recruter prioritairement dans les bassins forestiers. Quant à la société civile, son rôle de vigie constructive se voit conforté : elle devra amplifier la formation des communautés, faciliter l’accès aux mécanismes de recours et fédérer les réseaux d’observation indépendante. Pour Christian Mounzéo, « les objectifs immédiats sont atteints, reste à transformer l’essai par un suivi méthodique des engagements ».
Vers une dynamique pérenne et inclusive
Au terme de ces deux journées denses, l’impression dominante est celle d’une maturité collective accrue. La forêt congolaise, qui couvre près des deux tiers du territoire national, apparaît plus que jamais comme un bien commun stratégique, tant pour l’équilibre climatique planétaire que pour la stabilité socio-économique intérieure. La volonté affirmée de l’État, alliée à l’expertise du secteur privé et à la vigilance constructive de la société civile, ouvre la voie à une gouvernance partagée apte à répondre aux défis du siècle. Reste désormais à inscrire cet esprit de co-responsabilité dans la durée, condition sine qua non d’un modèle de développement respectueux des générations futures et conforme à la vision portée au plus haut niveau de l’État.