Genre et gouvernance forestière
Dans un hôtel discret du centre de Brazzaville, vingt-cinq représentantes d’organisations féminines et de la société civile égrènent leurs propositions pour verdir, mais surtout féminiser, les décrets d’application du nouveau code forestier de la République du Congo.
Depuis l’adoption, en 2020, d’un code forestier renouvelé, le ministère de l’Économie forestière s’est engagé à traduire dans des textes d’application une approche inclusive, attentive aux communautés riveraines et respectueuse de l’équilibre entre conservation et exploitation raisonnée.
L’enjeu est double : garantir la pérennité de huit millions d’hectares de forêts écologiquement précieuses, tout en reconnaissant le rôle clé des femmes dans la gestion quotidienne des ressources, de la collecte de produits forestiers non ligneux à la transmission des savoirs locaux.
Des ateliers stratégiques à Brazzaville
Réunis du 3 au 6 décembre, les participants, dont une majorité de leaders féminins, confrontent leurs expériences de terrain aux exigences juridiques. L’exercice alterne présentations, relectures collectives et discussions à micro ouvert.
Les ateliers, facilités par le Réseau des femmes africaines pour le développement durable, s’appuient sur la méthodologie du Groupe de travail multi-acteurs : chaque amendement est argumenté et mesuré à l’aune des réalités socio-économiques des villages forestiers.
« Nous voulons des règles qui parlent autant à la mère de famille qu’à l’ingénieure forestière », explique une participante venue de Sibiti, rappelant que la proximité des femmes avec la forêt dépasse la seule consommation de bois-énergie.
Trois décrets scrutés à la loupe
Premier axe de travail : la transparence. Le projet de décret sur l’accès à l’information impose que les données relatives aux concessions, inventaires et taxes soient publiées dans un format compréhensible, consultable en mairie comme sur les plateformes officielles.
Deuxième texte examiné : l’encadrement des plans d’aménagement des forêts du domaine privé de l’État. Les participantes veulent qu’une consultation genrée identifie les conséquences différenciées sur les activités économiques féminines.
Enfin, le futur comité national de suivi de l’accès aux ressources génétiques retient l’attention. Les femmes plaident pour y occuper au moins 40 % des sièges afin que la répartition des avantages reflète la diversité des usagers.
La voix des femmes porte loin
À la tribune, Mme Marie Julienne Longo Benoît, coordonnatrice du Refadd, rappelle que la loi n’est efficace que si elle s’ancre dans le vécu : « Les femmes connaissent la forêt jusque dans ses odeurs ; elles méritent d’écrire les règles qui la protègent ».
Son propos fait écho aux conclusions des précédentes sessions, déjà saluées par le Groupe de travail et par le cabinet ministériel. Plusieurs suggestions, comme l’affichage des quotas féminins dans les équipes de contrôle, ont été retenues.
Au-delà de la représentativité, l’enjeu consiste à renforcer les capacités. Des modules sur la lecture des cartes, le suivi des volumes de coupe et le contrôle des redevances sont programmés afin de placer les femmes en position d’expertise.
Appui institutionnel et partenariats
Le Programme de gestion durable des forêts, soutenu par des partenaires internationaux, accompagne la démarche. Son coordonnateur, M. Alfred Nkodia, assure que l’appui couvrira la modélisation des impacts et la mise à disposition d’outils d’évaluation sensibles au genre.
Pour lui, l’intégration systématique du genre n’est pas une faveur, mais une condition d’efficacité. « Lorsque les textes reflètent les réalités de toutes les parties prenantes, la conformité augmente et les conflits diminuent », résume-t-il chiffres à l’appui.
Le ministère de l’Économie forestière souligne que ces consultations s’inscrivent dans la vision gouvernementale de faire de la République du Congo un modèle régional de gestion participative et responsable des ressources naturelles.
Un réseau panafricain mobilisé
Le Refadd n’agit pas en vase clos. Créé en 1998 à Bata, il fédère aujourd’hui des antennes dans les dix pays de la Commission des forêts d’Afrique centrale, favorisant un échange constant de bonnes pratiques.
Ce maillage transfrontalier permet de comparer les avancées législatives, d’ajuster les plaidoyers et de bâtir une influence collective face aux acteurs privés opérant à l’échelle sous-régionale. Les participantes projettent déjà de partager leurs recommandations avec leurs homologues camerounaises.
À Brazzaville, plusieurs observateurs notent que cette dynamique Sud-Sud complète les engagements internationaux pris dans le cadre du partenariat pour les forêts du bassin du Congo, renforçant la capacité du pays à négocier des financements climat.
De la salle de rédaction aux massifs
À l’issue des quatre jours, les organisatrices compileront les amendements dans un rapport remis au Groupe de travail, puis au ministère, avant une consultation publique élargie. L’objectif est une adoption des décrets définitifs au premier semestre prochain.
Si le calendrier est tenu, la République du Congo disposera de textes forestiers à forte valeur sociale, illustrant sa volonté de conjuguer préservation des massifs et promotion de l’égalité. La forêt, poumon national, se lira désormais aussi au féminin.
