Diplomatie forestière et souveraineté verte à l’heure du multilatéralisme climatique
Depuis la signature historique de la Déclaration de la République du Congo sur les forêts tropicales à Glasgow, la gouvernance du massif forestier congolais n’est plus une question strictement nationale : elle s’inscrit dans un réseau de partenariats Sud-Sud et Nord-Sud qui attribue à Brazzaville un rôle pivot dans la régulation des flux carbone. L’administration dirigée par la ministre de l’Économie forestière a multiplié, ces trois dernières années, les plateformes de concertation avec les bailleurs internationaux afin de concilier valorisation économique du bois et conservation des écosystèmes.
Cette diplomatie verte, saluée par plusieurs chancelleries européennes, s’appuie néanmoins sur un terrain opérationnel exigeant, où chaque concession, chaque permis et chaque clause sociale sont scrutés par la société civile. Le point de presse organisé fin juin par l’Observatoire congolais des droits de l’homme, épaulé par d’autres ONG environnementales, illustre cette vigilance. En demandant des clarifications sur des autorisations provisoires délivrées à des opérateurs privés, les militants rappellent que la souveraineté forestière se mesure aussi à la capacité de l’État à appliquer son propre droit.
Un code forestier ambitieux au cœur de la gouvernance environnementale nationale
Promulgué en juillet 2020, le nouveau code forestier congolais est souvent considéré par les experts de la Banque mondiale comme l’un des plus complets de la sous-région. Son article 175, pointé par les ONG, impose l’évaluation complète des conventions forestières arrivées à échéance avant qu’un avenant ne soit signé. Il s’agit d’un mécanisme de due diligence qui protège la biodiversité tout en sécurisant les recettes fiscales liées à l’exportation des grumes et au développement de la transformation locale du bois.
Dans le même texte, les articles 87 à 92 décrivent les conditions dans lesquelles une « autorisation provisoire d’exploitation » peut être accordée. La lettre de la loi veut que cette dérogation demeure exceptionnelle, assortie d’un cahier des charges environnemental et social précis. Au-delà des débats ponctuels, le ministère rappelle que ces dispositions ont déjà conduit à la suspension de plusieurs concessions non conformes, preuve, selon ses responsables, d’une volonté de crédibiliser le secteur.
Interpellation citoyenne : vigilance accrue sur l’attribution de titres
Lors de sa conférence de presse, Mme Nina Cynthia Kiyindou Yombo a évoqué « une menace majeure pour la biodiversité » si les procédures d’agrément ne respectent pas la chronologie exigée par le code. Elle appelle l’administration à annuler les lettres unilatérales adressées aux sociétés dont les conventions arrivent à terme en 2025, afin d’éviter ce qu’elle qualifie de vide juridique. Le rappel vaut avertissement : la société civile entend peser sur l’élaboration des avenants, instrument clé de la gestion durable.
Certains opérateurs privés, joints par notre rédaction, reconnaissent en aparté que la transition vers les nouvelles normes de traçabilité s’avère coûteuse. Toutefois, ils soulignent le gain de crédibilité commerciale qu’ils en retirent sur les marchés européens et asiatiques. Le secteur entend donc maintenir le dialogue avec les ONG, considérant que la gouvernance partagée constitue un avantage compétitif plutôt qu’une contrainte.
Réponse institutionnelle : audits indépendants et mécanismes de correction
Interrogé en marge d’un atelier du Partenariat pour les forêts du bassin du Congo, un haut fonctionnaire du ministère assure que « toute autorisation provisoire fait l’objet d’un contrôle ex post par des inspecteurs indépendants ». Les services déconcentrés ont reçu instruction de produire des rapports trimestriels, transmis au Conseil national de la statistique forestière. Selon la même source, plusieurs sociétés en retard dans la mise à jour de leurs plans d’aménagement ont déjà vu leurs volumes d’abattage plafonnés.
Cette dynamique de vérification, confiée à des cabinets d’audit accrédités, participe d’un mouvement plus large : la préparation, dès 2024, du premier rapport national sur le mécanisme FLEGT-VPA, préalable à la levée des clauses suspensives avec l’Union européenne. L’enjeu est double : rassurer les partenaires au développement tout en préservant l’image d’un État vigilant, capable de combiner attractivité économique et respect de ses engagements climatiques.
Filière bois : levier économique stratégique et intégration locale
La filière forestière représente environ 6 % du PIB congolais et demeure, avec les hydrocarbures, l’un des premiers pourvoyeurs d’emplois formels en milieu rural. Pour répondre aux aspirations sociales, la stratégie nationale de transformation du bois prévoit la création de huit zones industrielles intégrées, destinées à passer du simple sciage à la fabrication de mobilier et de matériaux biosourcés. Selon la Confédération africaine de développement industriel, cette montée en gamme pourrait générer près de 15 000 emplois additionnels d’ici à 2026.
Cette ambition industrielle se heurte cependant à la rareté des infrastructures logistiques et énergétiques dans certaines régions forestières. Le gouvernement, appuyé par la Banque africaine de développement, a lancé la réhabilitation de 640 kilomètres de pistes de desserte agricole afin de réduire le coût du transport du bois transformé. Les ONG espèrent que ces investissements s’accompagneront d’un contrôle citoyen renforcé, gage d’une répartition équitable des retombées économiques.
Perspectives carbone : marché volontaire et alliances financières innovantes
En marge de la COP28, Brazzaville a confirmé son intention de mobiliser le marché volontaire du carbone pour financer la conservation de 4,5 millions d’hectares de forêts intactes. La plateforme nationale MRV (Mesure, Rapportage, Vérification) est désormais opérationnelle et permet de certifier des crédits qui pourraient générer, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, près de 70 millions de dollars par an à partir de 2027.
Les concessions arrivant à échéance en 2025 représentent à la fois un défi et une opportunité : leur renouvellement, soumis à des critères de performance environnementale, pourrait offrir un vivier de projets REDD+ compatibles avec les standards internationaux. Investisseurs institutionnels et fonds souverains du Golfe ont déjà manifesté leur intérêt pour ces actifs verts, confirmant que la transparence recherchée par la société civile constitue aussi un argument de levée de fonds.
Cap vers la consolidation d’un modèle congolais de gestion durable
À l’issue de ce nouvel épisode de vigilance citoyenne, deux certitudes émergent : la réforme forestière congolaise s’enracine dans un corpus juridique solide et la société civile joue désormais un rôle moteur dans son appropriation. L’administration, consciente de l’effet de loupe que constitue la préparation de la COP30, s’emploie à renforcer l’information publique sur l’état des concessions tout en accélérant les audits.
Le climat de dialogue qui s’installe, en dépit de tensions ponctuelles, laisse entrevoir une trajectoire convergente vers la durabilité. À l’heure où beaucoup de pays forestiers cherchent la quadrature du cercle entre développement et conservation, le Congo-Brazzaville pourrait, s’il parvient à harmoniser les revendications citoyennes et les impératifs macro-économiques, se positionner comme laboratoire régional d’une gouvernance forestière à la fois exigeante, inclusive et économiquement viable.