La colère qui gronde sur le campus
Sur les allées sablonneuses du campus central, le sujet des frais d’inscription monopolise chaque conversation. De la bibliothèque universitaire aux rangs de la cafétéria, les montants réajustés – 21 000 francs en licence, 50 000 en master et 100 000 en doctorat – font l’effet d’une onde de choc.
La plupart des étudiants reconnaissent ne pas avoir été suffisamment préparés à cette annonce, intervenue à un mois de la rentrée académique. Dans un amphithéâtre plein à craquer, un orateur improvisé s’interroge : « Comment solder nos arriérés de loyer et payer simultanément le nouveau tarif ? »
Pour autant, le mécontentement demeure globalement pacifique. Les associations facultaires ont privilégié des assemblées d’explication plutôt que des blocages, conscients de l’impact des grèves passées sur le calendrier universitaire. « Nous ne voulons pas revivre des semestres compressés », confie Sylvie, étudiante en sociologie de troisième année.
Comprendre la grille tarifaire révisée
Le rectorat insiste sur le caractère technique de la décision. Selon un document interne consulté par nos soins, la nouvelle grille agrège des frais jadis dispersés – carte d’étudiant, examens, délivrance de diplômes – sans créer de charges inédites. « Il s’agit d’une simplification comptable », affirme un cadre administratif.
Comparée aux autres universités publiques de la sous-région, l’enveloppe demandée reste modérée, argumente l’institution. À Libreville ou Yaoundé, les droits d’inscription varient déjà entre 30 000 et 60 000 francs en licence. Cette mise en perspective nourrit la volonté de doter Marien-Ngouabi de moyens pédagogiques modernisés.
Le ministère de l’Enseignement supérieur soutient la réforme, soulignant la hausse continue des charges liées au numérique, aux consommables de laboratoire et aux indemnités d’encadrement. « La gratuité totale n’est plus tenable face à l’expansion démographique », fait valoir un conseiller technique, plaidant pour un partage raisonné des coûts.
Bourses et justice sociale en débat
Sur le plan sociologique, l’augmentation ravive la question de la mobilité sociale par l’école. Près de 70 % des étudiants sont issus de ménages gagnant moins de deux fois le SMIG. Pour eux, les bourses constituent le principal amortisseur, mais leur versement demeure parfois irrégulier, reconnaît la direction des allocations.
Plusieurs experts rappellent que la massification universitaire a doublé le nombre d’inscrits en dix ans, sans que les ressources dédiées aux bourses ne suivent la même courbe. En conséquence, retards et proratisations alimentent un sentiment d’incertitude financière qui complique l’engagement de tout crédit bancaire estudiantin.
L’Association congolaise de sociologie recommande, dans une note récente, de coupler la réforme tarifaire à un renforcement des aides ciblées. Elle propose un barème dégressif lié au revenu familial, inspiré de dispositifs observés au Maroc. « La viabilité d’une université passe par l’inclusion », y lit-on.
Enjeux macroéconomiques et gouvernance universitaire
Au-delà des frais d’inscription, le défi réside dans la gouvernance financière. Le budget annuel de Marien-Ngouabi avoisine 18 milliards de francs CFA, dont près de 70 % consacrés aux rémunérations. Il reste peu pour l’innovation pédagogique, la recherche appliquée ou la maintenance de l’infrastructure.
Depuis 2019, l’État a encouragé les universités à développer des ressources propres, comme la formation continue ou les partenariats avec les entreprises nationales. Ces leviers représentent déjà 9 % des recettes de l’établissement. Le rectorat espère hisser cette part à 15 % d’ici trois ans, selon nos informations.
Pour l’économiste Valéry Mabika, la soutenabilité financière repose aussi sur une comptabilité analytique rigoureuse. « Sans indicateurs fiables de coût par filière, impossible d’allouer rationnellement l’effort budgétaire », souligne-t-il. L’université a ainsi lancé un audit interne dont les conclusions sont attendues début 2024.
Pistes pour un consensus durable
À court terme, la priorité reste l’apaisement. Une commission mixte, réunissant rectorat, syndicats et représentants ministériels, doit se tenir la semaine prochaine. Son ordre du jour inclut l’étalement du paiement et la création d’un fonds de solidarité pour les cas les plus vulnérables.
Du côté des étudiants, le mot d’ordre est à la vigilance constructive. « Nous irons discuter avec des données chiffrées, pas avec des slogans », assure Josué Mabanza, porte-parole d’un collectif naissant. Les réseaux sociaux servent déjà à collecter des informations sur les pratiques tarifaires sur le continent.
Pour les enseignants-chercheurs, cette phase de concertation pourrait déboucher sur une charte de performance liant ressources supplémentaires et amélioration des indicateurs de réussite. Nombreux estiment qu’il faut conditionner les primes d’encadrement à la réduction du taux d’abandon, situé aujourd’hui autour de 35 % en première année.
Même si le débat est vif, la plupart des interlocuteurs reconnaissent l’importance de maintenir un climat académique serein, propice à la production de connaissances utiles au pays. « Nous partageons tous l’objectif d’un enseignement supérieur performant », rappelle un responsable du ministère. L’équation financière devra donc être résolue ensemble.
Les prochains jours diront si le nouveau barème sera ajusté ou si des mesures d’accompagnement suffiront à désamorcer la fronde larvée. Entre impératif budgétaire et équité, l’Université Marien-Ngouabi devient un laboratoire national de la gouvernance éducative.