Un nouveau visage à la tête du GODF
L’élection de Pierre Bertinotti au poste de Grand Maître du Grand Orient de France, le 21 août, constitue bien plus qu’une simple alternance symbolique. Pour de nombreux observateurs africains, cette nomination résonne comme le coup d’envoi d’un nouveau chapitre stratégique entre Paris et ses partenaires.
À 72 ans, cet économiste reconnu, passé par Bercy et les grandes écoles, hérite d’une organisation qui irrigue depuis plus d’un siècle les administrations et les milieux d’affaires de l’espace francophone. Ses premiers déplacements, annoncés à Dakar puis Brazzaville, confirment la portée africaine de son mandat dès l’origine.
Dans un communiqué sobre, le GODF a souligné la « refondation du pacte social » et la défense de l’État de droit comme priorités. Ces thèmes rencontrent un écho particulier au Congo-Brazzaville, où les autorités multiplient les initiatives en faveur d’une gouvernance inclusive et d’une croissance partagée au plan national.
Des loges entre Paris et Brazzaville
Depuis plusieurs décennies, les loges du GODF installées à Pointe-Noire ou Oyo servent d’espaces de dialogue où hauts fonctionnaires, enseignants et entrepreneurs congolais échangent sans protocole. Loin des clichés de secret, ces réunions offrent souvent un laboratoire d’idées compatible avec les ambitions nationales et régionales.
Un cadre du ministère des Finances, présent sous couvert d’anonymat, résume ainsi la situation : « La loge n’interfère pas dans la décision publique, mais elle crée un climat de confiance qui facilite les projets structurants. » Cette perception reste largement partagée dans la sphère économique du pays aujourd’hui.
Soft power et mutations géopolitiques
Pour autant, le paysage a changé. Les acteurs chinois, turcs ou encore émiratis développent leurs propres cercles d’influence, fondés sur des bourses d’études, des fondations ou des partenariats militaires. Face à cette pluralité, le réseau maçonnique se présente comme une matrice historique, garante d’une continuité relationnelle et culturelle.
Bertinotti, spécialiste des politiques industrielles, insiste sur le rôle de la connaissance. Selon lui, « le capital humain demeure le premier levier d’émancipation ». À Brazzaville, cette approche rejoint les priorités gouvernementales visant à moderniser l’enseignement supérieur et à promouvoir les sciences du numérique et biomédicales.
Les défis posés par la concurrence mondiale
Le ministère congolais de l’Enseignement supérieur compte d’ailleurs intensifier les partenariats avec des grandes écoles françaises, parfois pilotés en coulisses par des anciens du GODF. Cette diplomatie éducative, peu médiatisée, complète les accords bilatéraux classiques et nourrit l’idée d’une francophonie d’innovation au service de la jeunesse.
Sur le terrain économique, les loges demeurent un canal supplémentaire pour sécuriser les financements d’infrastructures. Qu’il s’agisse de réhabiliter la voie ferrée Congo-Océan ou d’étendre la couverture numérique, la confiance interpersonnelle accélère la prise de décision et réduit, selon certains banquiers, les coûts d’intermédiation et de retard.
Toutefois, l’influence maçonnique reste soumise aux mutations sociologiques. Les nouvelles générations, plus connectées et sensibles aux enjeux de transparence, questionnent l’opacité supposée des loges. Pour demeurer attractif, le GODF mise sur des forums ouverts au public et des programmes de mentorat affichés sur les réseaux sociaux au Congo.
Perspectives pour les élites congolaises
Le politologue Jean-Michel Mombéla note que « la notoriété accrue des loges, jadis invisibles, les oblige à un devoir d’exemplarité ». Cette évolution est jugée compatible avec l’agenda congolais de lutte contre la corruption, porté par plusieurs réformes saluées par les institutions financières régionales et internationales récemment.
Pour Pierre Bertinotti, la réponse doit conjuguer tradition et ouverture. Il prévoit de renforcer la coopération avec l’Union africaine sur des séminaires consacrés à l’éthique publique. Un moyen, dit-il, « d’ancrer la franc-maçonnerie dans les grands débats panafricains tout en respectant la souveraineté des États » et leurs choix.
À l’heure où Brazzaville élabore sa feuille de route pour l’économie circulaire, les cercles maçonniques se proposent d’y injecter leur expertise historique en matière de responsabilité sociétale. Des ateliers devraient réunir, d’ici la fin de l’année, experts internationaux et start-up locales autour du recyclage plastique innovant.
Entre tradition et adaptation future
Le gouvernement congolais voit d’un bon œil ces partenariats qui soutiennent les objectifs du Plan national de développement. Sans s’ingérer dans les orientations politiques, le GODF pourrait offrir un complément de ressources intellectuelles utile à la diversification économique, notamment dans l’agro-industrie et les services numériques.
Reste la question de la durée. Le mandat annuel du Grand Maître limite la mise en œuvre de projets longs. Bertinotti parie sur la collégialité et la transmission : chaque délégation africaine disposera d’un référent permanent pour assurer la continuité, même après l’élection de son successeur au sein parisien.
Si l’Afrique francophone apparaît comme un terrain concurrentiel, le GODF mise sur son ancrage historique et sa capacité d’adaptation pour rester un acteur d’influence responsable. À Brazzaville, cette perspective est accueillie avec pragmatisme : tout outil renforçant la coopération est jugé digne d’intérêt par les décideurs et citoyens.
À terme, les observateurs s’accordent : seule la capacité des loges à produire des solutions concrètes déterminera la solidité de leur influence renouvelée en Afrique.